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pas les contrôleurs anglo-français, décida l’arrestation des trois colonels et leur renvoi d’urgence devant un conseil de guerre extraordinaire présidé par le général Stone, officier américain, chargé de la direction de l’état-major de l’armée égyptienne, et où devaient également siéger un général français et un général prussien. Il ne s’agissait pas, on le voit, d’un de ces actes de justice sommaire en usage en Orient. La présence d’officiers européens était une garantie que tout se passerait dans les règles. Néanmoins on crut devoir procéder avec un certain mystère, de peur d’une résistance ouverte des colonels. Comment ce mystère fut-il divulgué? Il n’est pas difficile de le savoir. Mahmoud-Samy, qui allait devenir le plus utile agent de la révolte militaire, faisait partie du cabinet comme ministre des wafks. Il prévint les colonels, inaugurant ainsi avec eux cette intimité fatale qui a été la véritable cause du succès de l’insurrection égyptienne. Le 1er février 1881, Arabi, Abdel-Al et Ali-Fhemy étaient arrêtés : quelques instans après, et au moment même où le conseil de guerre se réunissait, les officiers et soldats du 1er régiment de la garde commandé par Ali-Fhemy, envahissaient la caserne où ils étaient internés, forçaient les gardes et délivraient les officiers insoumis. Ainsi, le gouvernement se trouvait subitement en présence d’une révolte qu’il avait eu le tort de ne pas prévoir. On apprit bientôt qu’elle avait été préparée dans des conciliabules clandestins tenus chez Ali-Fhemy et chez Arabi, et que le premier, qui avait assez longtemps vécu à côté du khédive pour connaître la douceur de son caractère, avait assuré ses collègues qu’on pouvait sans danger braver son autorité.

A peine sortis de prison, les trois colonels marchèrent avec les troupes qui les avaient délivrés sur le palais d’Abdin. C’était le régiment d’Ali-Fhemy qui formait le gros de la manifestation, celui d’Arabi ayant refusé d’en faire partie. À cette époque, Arabi n’avait aucune autorité ; ses soldats mêmes bravaient ses ordres. Au premier moment, l’insurrection ne paraissait pas très dangereuse, et l’on comptait en venir assez aisément à bout, au moyen du régiment nègre d’Abdel-Al, qui résidait à Tourah, à quelque distance du Caire, et vers lequel, au premier bruit de ce qui se passait, le khédive avait envoyé des aides-de-camp. Mais, tout à coup, on vit ce régiment, sur lequel on fondait tant d’espérances, déboucher, armes au bras, sur la place d’Abdin, et venir se ranger parmi les insurgés. Abdel-Al lui avait donné d’avance des ordres qui furent exécutés avec une ponctualité extraordinaire : après avoir emprisonné les aides-de-camp du khédive, le régiment nègre avait pris la route du Caire, accourant auprès de son colonel dans une marche d’une rapidité vertigineuse. La partie était perdue. Environné de tous côtés de soldats,