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n’avait songé, même une seconde, qu’une révolte fût possible; mais, par malheur, quelques semaines avant l’émeute de février, une querelle éclatante avait surgi entre le consul de France, d’une part, et, d’autre part, le consul d’Angleterre et Riaz-Pacha. Il faut reconnaître que tous les torts étaient du côté du consul de France. A propos d’une question sans importance, il avait déclaré violemment la guerre à son collègue anglais et au ministre égyptien, ameutant contre eux tout le corps consulaire et toute la colonie française. Aussitôt le bruit s’était répandu au Caire que la France rompait avec l’Angleterre, car, en Égypte, c’est par la conduite des agens qu’on juge celle des cabinets. On s’en était réjoui dans les casernes, on avait puisé dans un fait aussi inattendu le courage de la révolte. Du moment que la France attaquait le ministère, du moment que l’Angleterre était abandonnée par son alliée, on pouvait marcher sans danger à l’assaut du pouvoir. Aussi, en quittant Abdin, les colonels insurgés se rendirent-ils immédiatement auprès du consul de France pour solliciter son appui. Celui-ci leur promit au moins sa sympathie. Pendant plusieurs semaines, il les reçut chez lui, il discuta avec eux leurs idées constitutionnelles, il leur distribua des cigares et des tasses de café. Il aurait continué sans doute si le ministre des affaires étrangères ne l’avait enfin rappelé. Mais le mal était fait; et, depuis lors, jamais les colonels n’ont perdu absolument l’espérance d’avoir la France avec eux.

Lorsqu’on a interrogé Arabi, Abdel-Al et Ali-Fhemy, dans l’instruction judiciaire, sur la révolte de février 1881, ils l’ont expliquée de la manière la plus simple. Voici de quelle façon sommaire Ali-Fhemy en a résumé le récit : « J’ai conduit mon régiment à Abdin pour faire les honneurs au khédive ; nous avons crié : « Vive le khédive! Khaïry-Pacha (le garde des sceaux) le sait, car le khédive l’a envoyé demander quelles étaient nos prétentions, et nous, comme des esclaves de Son Altesse, nous avons demandé la destitution du ministre de la guerre, qui nous a été accordée. » Rien de plus innocent, on en conviendra. Touché des honneurs qu’on lui rendait et de la soumission de ses esclaves, le khédive eut, en effet, la générosité d’accorder la destitution d’Osman-Refki. La faute était grave; mais ce qui fut plus grave encore, ce fut de choisir pour remplacer le ministre disgracié Mahmoud-Samy, le ministre des walks.

Mahmoud-Samy avait une réputation d’intelligence et de fermeté qui fit illusion à ses confrères dans un moment où l’on cherchait, pour faire tête à l’armée, un homme doué d’une grande énergie. On avait oublié qu’il portait à Ismaïl-Pacha et à toute sa famille une haine invétérée; on ignorait l’ambition démesurée qui couvait en lui; et tout en le sachant d’une vanité prodigieuse, on ne se doutait