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D’ailleurs, les exilés devaient conserver leurs grades, décorations et traitemens. Au premier moment, le coup porta. La confiance d’Arabi dans l’inertie de la France et de l’Angleterre commençait à être ébranlée. On savait que deux escadres venaient d’entrer dans le port d’Alexandrie. Le ministère effrayé consentit à donner sa démission. Par malheur, à peine l’avait-il donnée qu’il recevait d’Alexandrie des nouvelles rassurantes, et que des conseils néfastes exerçaient sur lui la plus funeste action. A première vue, les escadres n’avaient pas paru très formidables. Sans doute, elles contenaient de fort beaux cuirassés, comme l’Invincible et le La Galissonnière; mais il n’y avait à côté d’eux que des canonnières, et les Égyptiens, qui jugent les choses par l’extérieur, ne pouvaient imaginer que des bateaux aussi petits que les canonnières fussent de terribles engins de guerre. Et puis, après avoir regardé du port les escadres rangées dans les bassins, on s’était présenté à bord sous prétexte de visites officielles, mais, en réalité, pour se rendre compte du nombre d’hommes qui allaient descendre à terre. Beaucoup d’officiers étaient allés voir les marins, qui avaient eu le tort de les recevoir et de les laisser circuler sur leurs navires. Depuis longtemps déjà, Arabi était préoccupé de savoir si une démonstration navale pouvait se terminer par un débarquement. Il demandait sans cesse combien il y avait de troupes sur un cuirassé. On lui disait qu’il y en avait bien peu, mais il lui restait des doutes. Les rapports de ses officiers le rassurèrent. Il était donc bien sûr que ces bateaux, gros et petits, ne portaient pas des régimens. Dès lors pourquoi craindre? Il y avait autour de lui des Européens, et, j’ai honte de le dire, des Français à sa solde, d’anciens suppôts de la commune, trahissant leur pays, qui lui affirmaient que tout ce bruit maritime était sans portée, que la France pour son compte était bien résolue à ne jamais envoyer en Égypte autre chose que des vaisseaux. Il le crut et cessa de craindre. En sortant du ministère, il fit parvenir immédiatement aux principaux notables du pays l’assurance que, ministre ou non, il resterait à la tête de l’armée et du peuple; il ajouta que la cause dont il était le chef n’aurait qu’à gagner à la chute du cabinet, et que personne ne devait faire un pas sans son ordre formel. Il signa cette lettre audacieuse : « AHMED-ARABI, chef du parti national. »

Le khédive avait résolu de tenter un dernier effort de résistance. Il avait immédiatement écrit aux moudirs pour leur enjoindre de suspendre tout préparatif militaire et de n’attendre désormais d’instructions que de lui. Le 27 mai, il convoqua dans son palais d’Ismaïlieh les notables et les officiers pour les exhorter à la conciliation, à l’obéissance, à la soumission. Il leur fit part de sa volonté de