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au khédive qu’ils ne répondaient plus de l’ordre si Arabi n’était pas officiellement réintégré dans ses fonctions. Les commandans conjurés obéirent; les notables obéirent à leur tour et firent la démarche qu’on avait exigée d’eux; ils se transportèrent en masse à Ismaïlieh et supplièrent le khédive, pour maintenir la paix, de rendre son portefeuille à Arabi. Comme toujours, Tewfik-Pacha céda, et, comme toujours aussi, Arabi lui fit immédiatement la plus humble et la plus servile des soumissions. Mais, à peine hors de la présence de son souverain, il invita les notables à se rendre chez lui, et là, assisté de Mahmoud-Samy et de Toulba, il les contraignit, sous peine de mort d’apposer leurs cachets au bas de pétitions adressées au sultan pour demander la déchéance du khédive. Ces pétitions furent colportées partout. On poursuivait jusque dans leurs maisons les fonctionnaires civils et militaires, afin de les forcer à les signer. Ceux qui refusaient subissaient les menaces les plus atroces. Finalement, la terreur qu’inspirait Arabi était telle que tout le monde se soumettait en tremblant. C’est à Alexandrie que l’émotion était la plus vive. Les colonels qui y résidaient s’étaient empressés de s’associer aux violences de leurs compagnons d’armes du Caire. Ils avaient adressé au khédive une dépêche comminatoire pour lui déclarer, suivant la formule indiquée par Arabi, qu’ils ne garantissaient plus l’ordre et la sécurité publique si on ne leur rendait pas le ministre de leur choix. L’agitation était, en effet, fort grande. Des réunions publiques avaient lieu fréquemment sous le patronage des officiers. Des discours incendiaires y étaient prononcés. L’ami d’Arabi, l’orateur de l’armée, Neddim, qui jouissait d’un libre parcours sur les chemins de fer pour pouvoir se rendre plus aisément partout où sa prédication fanatique semblait nécessaire, y soufflait l’assassinat et la guerre civile. De son côté, le colonel Soliman-Samy annonçait le massacre de toute la population européenne. La crise allait éclater lorsque l’arrivée de Dervich-Pacha, envoyé du sultan, la retarda de quelques jours encore. Arabi s’efforça de le circonvenir; il organisa des manifestations payées en sa faveur et contre le khédive; il tâcha de lui donner le change sur l’état du pays. Mais Dervich-Pacha semblant peu convaincu, il fallut employer des moyens plus décisifs et se lancer à corps perdu dans le crime.


III.

Aux yeux des chefs de la rébellion, le moment était venu de tenter un grand coup. Les consuls, effrayés pour leurs nationaux,