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et me reprocha ma conduite à l’occasion des massacres de Tantah. Il me dit qu’Arabi était courroucé contre moi à cause de cette conduite ; il me fît même à ce sujet d’assez fortes menaces. » Voilà où en était arrivé le parti national; voilà quelles étaient les conséquences nécessaires, inévitables, de ce mouvement militaire, qui, né dans des casernes, développé dans des émeutes, mûri dans des conspirations, ne pouvait finir que dans des crimes. Il ne s’agissait ici ni de liberté, ni de patrie. C’est le simple intérêt personnel qui avait armé les colonels contre leur souverain et plus tard c’est la peur d’un châtiment mérité qui les avait poussés à ne reculer devant aucune violence. Grâce à la pusillanimité de l’Europe, ces hommes sans intelligence et sans cœur étaient parvenus peu à peu au sommet de la fortune. Pris de vertige, leur pied avait glissé dans le sang. Les phrases creuses, dont ils s’étaient nourris, les souvenirs incompris de Moscou et de la commune les avaient entretenus dans l’idée d’opposer des massacres et des incendies comme barrière à leur ennemi vainqueur. Au jour de la première défaite, des souvenirs révolutionnaires leur montèrent à la tête et grisèrent leur cerveau. Mais ces médiocres plagiaires n’ont jamais eu le courage de faire crouler sur eux-mêmes les ruines qu’ils accumulaient autour d’eux. Agissant avec la lâcheté orientale, c’est l’adversaire désarmé seul qu’ils ont atteint, assassiné et volé. Pour brûler Alexandrie, ils se sont couverts du drapeau blanc. Pour tuer les chrétiens, ils les ont pris par derrière ou dans l’isolement. Tout cela s’est passé aux cris : « Arabi le veut ! » C’est à ce cri que plusieurs de nos compatriotes ont péri, que des centaines d’Européens et de chrétiens sont tombés sous les coups des soldats, des voleurs et des forçats. Arabi n’avait cessé de dire à tout le monde : « N’agissez que par mon ordre. » Il était devenu le maître, l’effendina; chacun tremblait devant lui, son autorité était sans bornes; dans le pays le plus docile du monde, le commandement absolu était entre ses mains. La dictature de la terreur et du fanatisme qu’il avait rêvée, il l’exerçait pleinement. Les flammes mêmes d’Alexandrie semblaient être pour lui une apothéose. Et l’on est venu nous dire depuis qu’il était innocent des massacres et des incendies qui ont dévasté l’Egypte! Et c’est au nom de la justice et du droit qu’on a rendu, sans preuves et sans débats, un semblable arrêt! Nous ne discutons pas la politique au nom de laquelle on a pu le faire ; mais la conscience et le bon sens de l’Europe protesteront toujours contre une pareille dérision de la vérité.


GABRIEL CHARMES.