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eux comme jacobin, et sur les bancs de la législative comme aristocrate, il put, sans se tromper, répondre à Bertrand de Molleville, qui l’engageait à se pourvoir de papiers pour sa sûreté : « C’est un passeport pour l’autre monde qu’il me faudrait. Toutes ces précautions sont inutiles ; quoi que je fasse, je n’échapperai pas aux gens qui m’en veulent. Je suis sûr d’être assassiné dans moins de trois mois. »


II.

Montmorin s’obstinait à ne pas abandonner Louis XVI, et il restait à son poste d’honneur, comme une sentinelle perdue. Malouet, Bertrand de Molleville et lui formaient, sans qualité, une sorte de conseil affectueux et résolument dévoué. Ils ne pouvaient pas être longtemps à l’abri des délations.

On répandait partout le bruit de l’existence d’un comité autrichien. Tous les pièges étaient tendus pour donner de la consistance aux méfiances surexcitées. Au commencement de mai 1792, Bicher de Serizy se rendit chez Begnault de Saint-Jean-d’Angély, son collègue à la législative, et le pria, au nom de la princesse de Lamballe, d’assister à un comité chez elle le vendredi, à six heures du soir. Il ajouta que Malouet, Bertrand et Montmorin s’y trouveraient. Regnault était dupe d’une perfidie[1]. Il ne s’en aperçut pas; ses doutes sur l’existence du comité autrichien disparurent ; et sa dose de vanité fut suffisante pour lui faire considérer l’invitation comme la chose la plus naturelle. Il courut chez Malouet, qui lui répondit : « Je ne connais pas Mme de Lamballe et je ne suis d’aucun comité. — Ce n’est pas un comité public, reprit Regnault, mais un comité qui se tient secrètement chez la princesse; elle m’a fait l’honneur de m’y inviter. — Je vous proteste, répliqua Malouet, que tout ce que vous me dites est absolument nouveau pour moi je n’ai jamais mis le pied chez la princesse de Lamballe ; à peine la connais-je de vue, et je ne suis d’aucun comité. — Que dois-je donc penser, repartit Regnault, du message que j’ai reçu de Richer de Serizy? — Je présume, répondit Malouet, que c’est une plaisanterie, ou qu’on a voulu vous tendre un piège, et je vous conseille de vous tenir sur vos gardes. » Ils se quittèrent : Malouet alla raconter à Bertrand de Molleville cette aventure ; ce dernier fit partir un courrier pour Anet, où se trouvait la princesse de Lamballe, et l’informa de ce qui se passait. Elle lui répondit qu’elle ne connaissait même pas Richer de Serizy et Regnault de Saint-Jean-d’Angély. De quel comité politique pouvait être cette insouciante jeune femme?

  1. Mémoires secrets de Bertrand de Molleville, chap. XXIIIe