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impossible. La peur, l’image encore saisissante de la journée de septembre, et ce sentiment naturel qui porte dans ces heures d’infinie détresse ceux qui s’aiment à se réunir, déterminèrent la famille Montmorin à demander l’hospitalité en Bourgogne à leur voisin, à leur parent, le comte Mégret de Sérilly, ancien trésorier de l’extraordinaire des guerres, propriétaire du château de Passy-sur-Yonne.

L’hiver de 1793 se passa dans cette solitude[1]. François de Pange la traversa en fuyant la terreur. Quelques amis venaient la nuit, de Villeneuve ou de Sens, apporter des nouvelles ou des livres. Lombard de Langres ayant donné à lire à Mme de Montmorin les Contes moraux de Marmontel, aperçut, quand elle les lui renvoya, une note marginale écrite de sa main, dans laquelle elle priait Dieu de la faire mourir. Ses vœux allaient être exaucés, et de quelle façon ! L’infidélité d’un domestique attira sur Passy et ses hôtes l’attention du comité de sûreté générale institué par la convention.

M. de Sérilly avait un frère, Mégret d’Étigny, officier supérieur aux gardes françaises, qui se trouvait à Paris le 10 août. Un de ses amis, un de ses frères d’armes, le baron de Viomesnil, était de ceux qui avaient défendu l’épée à la main aux Tuileries la personne du roi. Blessé à la jambe d’un coup de feu, Viomesnil s’était traîné chez M. d’Étigny, rue Coq-Héron, n° 65; il y avait succombé à ses blessures quelques jours après. Lorsque le conventionnel Maure fut envoyé en mission dans le département de l’Yonne, une lettre d’un valet de chambre lui dénonça M. d’Étigny pour avoir donné asile au baron de Viomesnil. En même temps que cette dénonciation appelait sur le château de Passy les fureurs des terroristes, un autre incident analogue les attirait aussi sur une illustre famille de la même province.

Le comte de Brienne, frère du cardinal, était à Sens avec ses neveux. Maure apprend qu’un ancien officier des gardes du corps s’y trouvait. MM. de Loménie le connaissaient, et se crurent obligés d’aller lui rendre visite. L’entrevue fut amicale. La pitié était alors un crime. Ordre vint de Paris d’arrêter à la fois la famille Mégret et la famille de Loménie[2]. Le cardinal, l’ancien ministre, vivait encore. Seul des archevêques de France il avait prêté serment à la constitution civile du clergé. Le souverain pontife lui ayant enjoint par un bref de se rétracter, M. de Brienne s’était tenu pour insulté et avait renvoyé au pape son chapeau de cardinal. Il était descendu

  1. Archives nationales W 363, n° 787. — Mémoires de Lombard de Langres, t. Ier, chap. II.
  2. Mémoires du comte Beugnot, t. Ier, p. 313.