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C’est là une gaîté de fossoyeurs. Des convives français, du moins ceux de jadis, disposés à rire sans excitans de ce genre, glissaient plus volontiers sur cette idée de la mort prochaine :


Aime, ris, chante et bois :
Tu ne vivras qu’une fois.


Telle est la devise de Désaugiers, qui ne fait que rappeler en passant la brièveté de la vie sans appuyer sur les pelletées de terre qui bientôt couvriront nos cercueils : Nos habebit humus ! nos habebit humus ! Dans le Trompette de Säkkingen, M. Scheffel emploie ce procédé du comique par le contraste; son héros, qui personnifie la fougue de la jeunesse et l’esprit d’aventure, il l’affuble du nom lugubre de Kirchhof, en allemand : cimetière. On trouve aussi dans ses chansons plus d’une veine de mélancolie :


Force de la jeunesse, comme tu t’épuises!.. Bientôt les ossemens fatigués du voyageur blanchiront oubliés dans le sein de la terre... et la mousse couvrira son tombeau !


Cette association de jovialité et d’images funèbres est un des caractères de l’humour.

Outre le petit livre de Gaudeamus, les chansons de M. Scheffel se trouvent en grande partie insérées dans le Commers-Buch[1], sorte de bréviaire profane, de livre canonique pour tous les rites et solennités bizarres en usage parmi les corporations d’étudians, dont il reflète la tournure d’esprit et les habitudes sociales. C’est une branche toute spéciale de la littérature allemande que cette poésie de corporation, ces chants de société (gesellige Lieder), à peu près inconnus en France. M. Scheffel y a excellé, effaçant parfois le souvenir de ses prédécesseurs, si bien qu’il est aujourd’hui de tous ces poètes le plus chanté et le plus applaudi. Voyons en quoi il a innové.

En Allemagne, au début de toute assemblée chantante et buvante, on entonne, en guise de Benedicite, quelque hymne patriotique. Ces poésies ont été composées pour la plupart lors de la guerre de délivrance, où le lyrisme allemand joua un rôle si glorieux. Comme les vieux Germains, les soldats de 1813 chantaient en allant au combat et à la mort. Le courage des Allemands se réchauffe et s’enflamme à l’excitante harmonie de leurs marches, de leurs chants qui retentissent comme des appels de clairon à travers la mitraille.

  1. Commers-Buch für den deutschen Studenten, 15e édition. Leipzig:, 1862.