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qui arrête depuis plus d’un an, en France, la prodigieuse ascension de toutes les valeurs mobilières. L’excès de la spéculation y a eu la plus grande part, puisque c’est à elle qu’est due la création de tant d’entreprises nouvelles plus ou moins sérieuses, fondées sur des bases plus ou moins fragiles, dont le moindre accident a précipité l’effondrement. On n’a pas manqué d’attribuer l’origine de la crise à la ruine d’une société mi-française, mi-autrichienne, l’Union générale, déclarée en janvier 1882 : ce serait une petite cause pour un grand effet. Tous les esprits étaient envahis par l’amour du jeu, hommes et femmes, tous rêvaient des bénéfices illimités et se précipitaient aux guichets ouverts pour la négociation des titres de sociétés : bientôt la chute de l’une amena la dépréciation des autres, et la déroute devint générale. On put craindre une répétition du fameux krach de Vienne, dont l’histoire a été tant de fois racontée ; mais il y avait cette différence qu’en Autriche le capital était absent, que les souscripteurs d’actions n’avaient mis que leur propre crédit au jeu et qu’ils ne purent payer leurs dettes, tandis qu’en France, c’était du bon argent versé pour la plus grande partie contre des titres sans valeur. Le papier qui le représentait devenu lettre morte, les épargnes furent englouties, chacun enregistra sa perte ; il y eut une grande diminution de richesse, mais le public ne fit point faillite ; les mauvais établissemens seuls disparurent ou disparaîtront, — car tout n’est point liquidé encore, — et, la sagesse revenue, la marche en avant pourra reprendre. Au moment où éclatèrent les premiers sinistres, par une coïncidence fâcheuse, l’état de nos finances publiques devenait l’objet de révélations soudaines accusant un défaut inattendu d’équilibre dans nos budgets, un accroissement considérable de la dette flottante, une diminution des recettes avec des exigences de dépenses toujours accrues. Ces découvertes n’ont pas manqué d’impressionner défavorablement tous ceux qui vivent du mouvement de l’argent et des valeurs financières, ainsi que de jour en jour les cours de la Bourse en ont fait foi. Nous ne voulons pas suivre pas à pas le recul de tous les titres dont la richesse mobilière se compose ; la Revue remplit cette tâche en donnant toutes les quinzaines des renseignemens sur le mouvement financier puisés aux meilleures sources. Mais aujourd’hui qu’un peu de calme semble avoir succédé aux orages, que le gouvernement paraît revenu à des procédés financiers plus sages, et que le fonctionnement des affaires privées obéit à des règles plus généralement saines, c’est en théoricien, pour ainsi dire, que nous voudrions examiner le rôle des banquiers et des banques et, sans faire de personnalités ni de réclames, assigner à chacun son but et son rôle, dans son propre intérêt comme dans celui du