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colonisation. « Les clairières des forêts formeraient ainsi des emplacemens de villages excellens à tous les points de vue. C’est pourquoi elle ne pouvait trop engager l’administration à presser l’exécution d’un travail pour lequel on inscrit tous les ans au budget des sommes importantes, travail qui ne paraissait pas avoir produit jusqu’à ce jour des résultats de nature à donner une légitime satisfaction aux intérêts de la colonie[1]. » L’administration a-t-elle tenu compte de ce dernier vœu si raisonnable qui, sans bourse délier, aurait mis immédiatement à sa disposition des terrains au moins égaux comme valeur à ceux qu’elle se proposait d’acquérir au prix des formalités de l’expropriation, toujours longues et coûteuses, et, sous le rapport politique, d’une exécution embarrassante quand elle n’est pas dangereuse ? Nous l’ignorons absolument.

Toujours est-il que, sur cette question de l’emploi à faire des terres du domaine, et, en général, sur toutes les questions se rattachant de près ou de loin à la colonisation, les membres du conseil supérieur du gouvernement n’ont jamais manqué d’émettre, à chacune de leur session, en gens pratiques qui se sentaient sur leur terrain, des opinions très judicieuses et très bien motivées. Hâtons-nous d’ajouter, qu’à l’exemple du général Chanzy, M. Albert Grévy a toujours laissé le champ libre à leurs discussions, et qu’après lui M. Tirman a fait preuve, à son tour, de la même largeur d’esprit. C’est pourquoi nous nous trouvons assister, à vrai dire, en les écoutant, à la plus utile des enquêtes. Il s’en faut de quelque chose qu’ils soient habituellement d’accord. Des divergences assez frappantes se font jour, non-seulement entre les membres élus, mais quelquefois aussi parmi les fonctionnaires du conseil. Il n’est pas rare de voir les trois préfets émettre des appréciations fort différentes, ce qui tient évidemment aux circonstances particulières à chacun de leurs départemens. Je n’oserais même pas dire qu’ils montrent toujours une déférence parfaite pour l’autorité centrale sous la direction de laquelle ils sont placés. Mais qu’importe ! si le prestige de la hiérarchie y perd un peu, l’indépendance des opinions y gagne beaucoup ; c’est tout profit. Chacun paraît d’ailleurs de très bonne foi et ne se fait point scrupule, pour appuyer son dire, de produire une foule de faits qui sont autant de révélations très instructives, les plus curieuses et souvent les plus piquantes du monde. Comment n’éprouverais-je pas quelque plaisir à puiser dans cet arsenal des armes simples, bien trempées, faciles à manier, et qu’on dirait forgées exprès pour défendre la cause du bon sens ? D’année en année, le conseil supérieur semble, en effet, se mieux dégager des systèmes préconçus, rompre avec les combinaisons trop compliquées et se rallier enfin à

  1. Procès-verbaux du conseil supérieur (novembre 1879, p. 321).