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germanisme, et la mode étant aux affinités traditionnelles, vous verrez les deux nations découvrir chaque jour un nouveau motif de se rapprocher davantage : « Vous êtes la mélodie, nous sommes l’harmonie. J’ai pour moi Bach, Händel, Gluck, Haydn, Mozart et Beethoven ; vous, ma sœur, vous avez vos héros dans le passé, Palestrina, Allegri, Antonio et Giovanni Lotti. Que pouvons-nous de mieux que de nous entendre ? Est-ce que, depuis le temps des Cimbres et des Teutons jusqu’à l’époque de nos empereurs souabes, depuis Luther et la réformation jusqu’à présent, l’Allemagne n’a pas toujours rêvé d’Italie ? Avons-nous jamais cessé d’aimer, de rechercher votre ciel, vos arts, votre culture, et vous-même n’aviez-vous pas le pressentiment de notre force, n’éprouviez-vous pas depuis des siècles comme un vague désir de vous compléter par nous, qui sommes la profondeur et la discipline ? Remontez au passé le plus lointain, à ces temps où Florence, Vérone, Gênes et Milan se mêlaient si activement à notre politique et où nous avions avec nous non seulement vos Scaliger, vos Montaigu, vos Uberti, vos Visconti, vos Doria, vos Médicis, mais aussi votre Dante. »

Musicalement, presque toute l’Italie actuelle est gibeline ; Naples reste dehors. Naples est un kaléidoscope : flamme, fumée, oscillations, contrastes, changemens et miroitemens perpétuels ! ses arts ressemblent à son train de vie. Vous écoutez sur le môle, au soleil couchant, la monotone ritournelle du barraiuolo, quand d’une fenêtre du voisinage s’envole par bouffées une sonate de Beethoven ou de Schumann. Le naturel et l’art savant s’y coudoient, le trivial touche au délicat, mais sans que jamais les extrêmes se confondent, chaque note conservant son accent genuine dans ce concert criard où retentit aussi la grosse caisse du charlatan. Ce qui n’empêche point Naples d’avoir sa jeune école de piano, la première aujourd’hui de l’Italie, et déjà célèbre en Europe pour sa technique et sa vigueur d’exécution. Benjamin Cesi, Rendano, Martinucci, Rinaldi (établi à Gênes) et qu’on a surnommé le Chopin moderne, sont des virtuoses d’un ordre éminent et jouant tous le répertoire classique. Notons que Liszt aurait ici de sérieux droits à revendiquer ; à ne la prendre que par son côté musical, sa cléricature ne laisse pas que d’avoir produit d’excellens fruits pour l’Italie. Oportet hæreses esse, disait l’ancienne théologie : disons mieux : il importe que, de loin en loin, les grands pianistes soient tonsurés, car si l’abbé Liszt n’eût point habité le Vatican, s’il n’y eût pas été, dans sa cellule, une de ces curiosités de Rome qu’on allait voir comme les Michel-Ange de la chapelle Sixtine et l’Apollon du Belvédère, nombre de talens que sa présence et ses conseils ont suscités ne seraient point là pour témoigner aujourd’hui en l’honneur de la jeune école italienne.

En présence du désarroi des institutions publiques, le dilettantisme