XVIIIe siècle, où rien en Europe ne se répandait que par le medium de notre langue si claire, si analytique, si logique et dont l’accent néo-latin vibrait si agréablement aux oreilles du peuple italien; nous ne sommes plus au temps où la domination autrichienne semait l’irréconciliable jusque dans le règne des lettres et des arts; nos revers ont aussi beaucoup aidé à notre discrédit intellectuel, et les Italiens se sont inclinés devant le fait brutal :
C’est du Nord aujourd’hui que leur vient la lumière ;
vers fâcheux, — soit dit en passant — du plus humain et du moins
patriote des poètes. Mais que ces Allemands sont d’habiles enjôleurs! de quel air suave et papelard ils président à la conversion de
leur catéchumène ! de quelles caressantes insinuations ils l’enguirlandent! « Rassurez-vous, ma, mie, et ne rougissez pas de vous
mettre à l’école chez nous, qui fûmes si longtemps vos disciples.
N’êtes-vous point la plus libérale de votre race et le moins esclave
des préjugés? Vous avez eu vos siècles de grandeur ; désormais, c’est
nous qui commandons, et vous venez à nous sans qu’il en puisse
résulter pour votre gloire aucun abaissement, persuadée, comme il
convient, que nous sommes en musique les deux nations sans
rivales, et prête à vous de faire de ce reste d’esprit parisien qu’on
vous reproche. » Eh bien ! non ; les choses n’en sont point à cet
état définitif; une nation ne renonce pas ainsi à ses privilèges. Qu’un
certain particularisme musical ait cessé d’être, rien de plus vrai ;
dites évolution, lutte pour l’existence et perpétuel devenir, à la
bonne heure ! L’art moderne est international, le cosmopolitisme nous
entraîne, et l’Italie comme la France cède au tourbillon. Mais croire
que les vents du nord vont ensabler à jamais l’heureux sol où fleurissent l’oranger et la mélodie, quel triste songe d’une nuit d’hiver!
La Messe de Verdi, son Aida, nous donnent la mesure de cette transformation dont les conséquences ne sauraient effrayer personne. Pur
travail d’assimilation et d’amalgame, où l’idéal traditionnel, la belle
phrase mélodique, loin de succomber, aura puisé dans la science
de l’accompagnement des élémens de vie nouvelle. On continuera la
chanson d’autrefois, mais la ritournelle en vaudra beaucoup mieux:
on se sera mis au pas, voilà tout.
HENRI BLAZE DE BURY.