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REVUE. — CHRONIQUE.

et avec le système qui règne depuis quelques années dans les affaires militaires, dont l’administration présente n’atténue pas les dangers, on peut malheureusement dire que notre armée passe par une crise des plus graves. Elle travaille sans doute, elle remplit tous ses devoirs simplement et obscurément ; elle ne souffre pas moins des conditions incertaines et précaires auxquelles elle est soumise, de la décroissance des mœurs militaires, de tout ce qu’on fait pour affaiblir les ressorts de cette puissante organisation créée pour la défense du pays. Il y aurait plus d’une réforme utile à réaliser, cela n’est pas douteux ; il y aurait surtout l’impulsion à raviver, le moral à raffermir, la confiance à faire renaître dans cette grande famille groupée sous le drapeau. Rassurons-nous : M. le ministre de la guerre, de concert avec ses conseillers du radicalisme, y a songé. Depuis quelque temps, il s’occupe avec la plus généreuse sollicitude de l’habillement. Il y a deux ou trois mois, il changeait la tenue d’une partie de cavalerie ; plus récemment il a changé la tenue de nos officiers d’infanterie. Voici maintenant une circulaire, gage du génie réformateur du ministre. On n’aura pas à se gêner désormais : « Le port de l’habit bourgeois sera toléré, en dehors des établissemens militaires, pour les officiers qui ne seront pas de service, ainsi que dans toutes les circonstances où leur présence n’aura aucun caractère officiel. » Il y aurait bien une petite question, celle de savoir comment le modeste traitement de jeunes officiers peut s’accommoder de ces changemens incessans et de ces dédoublemens de costumes ; mais cette considération, si sérieuse qu’elle soit pour des serviteurs du pays sans fortune, n’est encore ici que secondaire.

La vérité est que la circulaire nouvelle est une satisfaction donnée à un goût trop répandu parmi beaucoup de nos officiers, qui n’ont rien de plus pressé que de se dépouiller de leur tenue pour être plus libres. C’est une concession assez malheureuse à un esprit qui tend à faire de nos officiers de simples fonctionnaires, comme des percepteurs ou des receveurs de l’enregistrement, à transformer notre armée en une sorte de garde nationale. Il paraît que c’est l’idéal nouveau. On oublie que le métier des armes a ses conditions, qu’il n’est pas naturel à des hommes de se presser sous un drapeau pour aller se faire tuer, qu’il faut des vertus particulières. C’est cet ensemble de vertus que l’uniforme représente pour celui qui le porte, en lui rappelant qu’il a des devoirs spéciaux, qu’il doit commencer par se respecter lui-même non-seulement dans le service, mais à tous les instans. On semble traiter l’uniforme comme s’il était une charge ou un ennui, et non un honneur pour ceux qui en sont revêtus, comme s’il n’était pas la représentation visible de l’esprit militaire, sans lequel il n’y a point d’armée. La mesure qui vient d’être adoptée était, dit-on, inévitable avec nos mœurs de plus en plus démocratiques. Il faudrait bien, cependant, en finir avec ces confusions et prendre un parti. Si l’on veut un