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bres de la majorité, comme sir John Morley, des radicaux amis du ministère soutiennent une politique tout opposée. Ils réclament vivement le rappel des troupes anglaises ; ils pressent le gouvernement de remplir ses engagemens, de tenir la promesse de quitter l’Égypte dans un délai de six mois. M. Gladstone, serré de toutes parts, évite visiblement de se lier. Il s’est tiré d’affaire jusqu’ici en déclarant devant le parlement, en répétant hier encore à Mansion-House qu’on évacuerait sans doute l’Égypte, que l’Angleterre ne pouvait cependant laisser son œuvre inachevée, que la situation n’était pas encore assez raffermie dans la vallée du Nil pour qu’on pût fixer la date du rappel de l’armée d’occupation. La vérité est que ces affaires égyptiennes, dont les Anglais ont pris la direction et la responsabilité, n’ont rien de flatteur pour leur orgueil. Rien n’a été fait sérieusement pour rétablir un ordre quelconque sous l’autorité du khédive, pour organiser une administration suffisante. L’anarchie est à peu près complète dans la vallée du Nil, et voici un nouvel embarras causé par l’entrée en scène d’un nouveau personnage qui n’a rien de politique, du choléra, dont les Anglais sont accusés publiquement d’avoir facilité l’invasion en substituant leur négligence aux anciens règlemens sanitaires. Tout cela ne fait certes pas une situation aisée. Seulement, au bout de tout, aux yeux des Anglais luit la perspective d’une intervention temporaire transformée en occupation définitive de l’Égypte, et, à ce prix, nos bons voisins sont encore capables de se consoler de l’accusation d’avoir exposé l’Europe à l’invasion d’un fléau.

Va-t-on voir reparaître au-delà des Pyrénées un fléau d’un autre genre, les pronunciamientos, les soulèvemens militaires ? Depuis les événemens qui ont ramené sur le trône le jeune Alphonse XII, l’Espagne semblait guérie de cette vieille maladie. Il n’y a eu du moins, dans ces dernières années, aucune tentative à demi sérieuse d’insurrection soldatesque, et s’il y avait des menaces révolutionnaires, elles se manifestaient sous la forme de ces mouvemens socialistes qui ont agité le midi de la péninsule. Le fléau vient d’éclater encore une fois au moment où l’on s’y attendait le moins. Rien n’indiquait en effet ni un danger de trouble dans le pays, ni une inquiétude dans le gouvernement ; une sécurité complète semblait régner dans les régions officielles. Le roi était à la Granja en attendant la réalisation de ses projets de voyage en France, en Autriche et en Allemagne. Le président du conseil, M. Sagasta, était paisiblement dans les Pyrénées, aux Eaux-Bonnes. D’autres ministres se trouvaient absens de Madrid. Le monde politique était dispersé. C’est alors qu’on a appris tout à coup, non sans une certaine surprise, que, dans la nuit du 4 au 5 août, quelques chefs militaires, un colonel de la réserve, un commandant, entraînant quelques centaines de soldats, s’étaient emparés de la citadelle de Badajoz, des autorités civiles et militaires, et qu’une junte révo-