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Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 59.djvu/114

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gouvernement de Son Altesse pense qu’Arabi et ses complices doivent être conduits devant la cour martiale pour y entendre la lecture de l’acte d’accusation et les pièces du procès, pour y présenter la défense qu’ils jugeront utile, par eux-mêmes ou par des avocats indigènes librement choisis admis à conférer dans la prison avec leurs cliens et à prendre connaissance de toutes les pièces du procès, pour y être ensuite jugés. Dans l’intérêt d’une justice exemplaire que l’état du pays rend indispensable, les prisonniers avaient été remis aux mains du gouvernement. Au cas où, contre toute attente, le gouvernement de Sa Majesté la reine persisterait dans la pensée qu’exprime la dépêche de lord Granville, le gouvernement égyptien, privé de l’application de ses lois et de ses usages, serait dans l’impossibilité de continuer utilement les poursuites criminelles commencées contre les rebelles. »

Les ministres égyptiens raisonnaient fort bien ; ils ignoraient seulement qu’un changement décisif s’était produit dans la politique anglaise, qu’on ne songeait plus à restaurer l’autorité du khédive, qu’on voulait au contraire l’ébranler, la miner, la détruire, pour réduire ce malheureux prince au rôle d’un monarque indien. A la formule : L’Egypte au khédive, avait succédé la formule : L’Egypte aux Égyptiens, c’est-à-dire, en termes plus francs, aux Anglais. Dès lors, on était enchanté de faire naître des doutes sur l’autorité du khédive et de paralyser l’action de son gouvernement. Les ministres égyptiens avaient tort de croire en eux-mêmes ; ils n’étaient plus les ministres de leur souverain, ils étaient tout simplement les commis de l’Angleterre. Lord Granville répondit à leur note par un nouveau télégramme plus pressant encore, dans lequel il indiquait que toutes les objections tirées des règles et des précédens étaient sans valeur, car il ne s’agissait pas d’appliquer dans le cas actuel la procédure égyptienne. Le gouvernement égyptien répliqua encore une fois en faisant ressortir la situation impossible dans laquelle il était placé et le désarroi qu’allait répandre partout une décision dont l’effet, combiné avec l’attitude du colonel Wilson, devait être de le discréditer complètement, d’apparaître comme une protection accordée à ses ennemis, enfin de le forcer à prendre la responsabilité d’un procès et d’un jugement où on lui enlevait ses lois, ses juges, ses avocats pour le livrer aux caprices d’un colonel d’état-major et d’avocats étrangers. Ces dernières observations amenèrent un véritable orage. Un jour qu’on discutait en conseil des ministres les formes suivant lesquelles devait être conduit le procès, sir Edouard Malet, pressé par un dernier télégramme de lord Granville, se rendit au ministère des affaires étrangères, où se tenait le conseil, fit appeler Chérif-Pacha, et lui déclara sèchement, dans un entretien qui ne dura pas plus de cinq minutes, que le temps