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uniquement que le pape était souverain de Rome, c’est que, vis-à-vis des grandes monarchies, l’Italie, l’état romain en particulier était en quelque sorte un terrain neutre » L’érection de la péninsule en grande puissance a enlevé aux prêtres et aux cardinaux italiens cet avantage. L’heure reviendra tôt ou tard où les conclaves ne répugneront plus à élire des « ultramontains, » sinon des Français, des Allemands, des Autrichiens, qui pourraient porter ombrage, du moins des prélats originaires des états neutres ou secondaires, des Belges, des Suisses, des Portugais, des Espagnols, ou encore des Irlandais ou des Américains, de façon qu’un jour le pape et ses principaux collaborateurs pourraient ne plus être par la naissance sujets de l’Italie.

Qu’ils demeurent ou non Italiens, les papes devront faire taire leurs préférences nationales. Un prêtre, un moine, un évêque, a le droit de garder sa nationalité et de rester citoyen, un pape ne l’a plus. Chez lui tout doit être absorbé par le caractère cosmopolite du souverain pontife. Quand il était prince italien (et c’est ce qui explique les incertitudes et les contradictions de Pie IX en 1848) le pape pouvait se trouver embarrassé entre ses devoirs de souverain temporel et son rôle de chef de l’église[1]. Aujourd’hui cette antinomie a cessé. Des deux personnages, longtemps confondus dans le pontife romain, il n’en reste qu’un, le chef religieux, et il ne saurait plus y avoir au Vatican d’autres intérêts que les intérêts catholiques. Le pape ne doit plus connaître d’autre patrie que l’église, servir d’autre gouvernement que le saint-siège. Agir autrement serait de sa part le moins pardonnable des népotismes ; avoir en vue d’autres avantages serait une sorte de trahison. Quelque affection qu’il lui garde au fond de son cœur, le saint-père est obligé d’appliquer à sa patrie terrestre la froide parole du Christ de Cana à sa mère : « Femme, qu’avons-nous de commun, vous et moi. »

C’est là une chose dont on ne semble pas toujours se rendre compte au sud des Alpes. En cas de transaction ou de pacification, ce serait le point de départ de graves malentendus et de nouveaux conflits. A Rome, à Florence, à Naples, on entend souvent parler comme si le pape était tenu de servir les intérêts italiens, ou d’avoir pour eux une considération particulière. On y entend formuler contre le saint-siège des griefs qui décèlent des illusions profondes. A peser les reproches, adressés en certaine occurrence par la presse italienne à un pape en guerre avec le Quirinal, on peut deviner les exigences qu’aurait la péninsule envers un pontife ami ou réconcilié.

Pour sortir des généralités, je citerai un exemple récent.

  1. Voyez, un Empereur, un Roi, un Pape. Paris, Charpentier.