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avec un peu de gouache le travail primitif et corrige ensuite ce qui lui avait paru défectueux. Ces esquisses, du reste, sont pour Claude un soutien, jamais une contrainte. Tout y a été réglé par lui d’une manière assez formelle pour qu’il n’ait plus ni embarras, ni incertitude, et pas assez rigoureuse cependant pour qu’il se sente complètement assujetti. Il y aura dans l’exécution place pour cet entrain qui, avec des sûretés acquises, suppose une certaine liberté d’action.

D’autres renseignemens encore, ainsi que le remarque Mme Pattison, nous sont offerts par ces esquisses. Nous y pouvons apprendre que, même lorsqu’il confiait à des collaborateurs le soin de peindre les figures ou les animaux qui devaient entrer dans ses compositions, le Lorrain en avait préalablement marqué la place, l’importance, la silhouette des groupes, la tache sombre ou lumineuse qu’ils feraient dans son tableau. Grâce à cette précaution, l’unité de l’œuvre était respectée, et les coopérateurs n’avaient plus qu’à se conformer aux indications de l’auteur. Si gauches que soient parfois ses personnages, ils font corps avec la composition, ils y jouent même, au point de vue de l’arrangement des lignes et de l’effet, un rôle utile ; on ne peut les en détacher par la pensée, comme on serait tenté de le faire, nous ne dirons pas impunément, mais même pour le plus grand profit de certains paysages dans lesquels des scènes ou des figures intercalées après coup n’y sont aucunement justifiées. Claude, tout en se rendant compte de son peu d’habileté à cet égard, n’entendait pas cependant abdiquer ses droits sur ce point. On rapporte même que, dans un de ses paysages, les Israélites adorant le veau d’or, destiné au chevalier Lély, le célèbre peintre de portraits de Charles Ier, ce peintre s’étant réservé le soin d’y mettre les figures, Claude les lui envoya toutes faites, disant que « c’était à prendre ou à laisser[1]. » Claude d’ailleurs n’avait rien négligé pour être à même de se passer des collaborateurs auxquels, — moins souvent qu’on ne suppose, nous l’avons dit, — il dut quelquefois recourir. Mais, bien qu’il s’appliquât à dessiner souvent des animaux dans la campagne et qu’il eût assidûment fréquenté les académies pour faire des études d’après les statues ou le modèle vivant, sa touche, quand il les peignait, était restée rude et maladroite, sans la souplesse et la sûreté qu’elle fait paraître dans le paysage. Il faut bien reconnaître également que, malgré leur talent, Jean Miel, Allegrini, Lauri et Courtois, qui mirent leurs pinceaux au service du maître, n’ont eu ni la discrétion, ni l’à-propos qu’on leur

  1. Ce paysage, qui fait aujourd’hui partie de la collection du duc de Westminster (Grosvenor’House), est inscrit par Claude au Livre de vérité comme ayant été livré au signor Carlo Cardello ; mais ce dernier n’a peut-être servi que d’intermédiaire, et le nom de sir Peter Lilly (sic) figure, en effet, en tête de la liste des possesseurs successifs de ce tableau. (Livre de vérité, n° 129.)