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toit et de belles vaches ruminent près des chèvres qui cabriolent. Le lait entre pour une proportion considérable dans l’alimentation des malades et, grâce à ce petit troupeau, on est certain de l’avoir dans sa sincérité primitive.

Dans une des chambrettes de la ferme j’ai vu une femme d’une cinquantaine d’années, grande, très pâle, et qui a dû être fort belle aux jours de sa primevère. La supérieure m’a dit en souriant : « Je vous présente un prix Montyon. » La femme a baissé les yeux, pendant qu’un nuage rose passait sur son visage. Grâce à son nom que je lui ai demandé, il m’a été facile de me procurer son dossier aux archives de l’Académie française. L’histoire est touchante et doit être rappelée. Elle est née en 1831 à Saint-Paul-de-Varces, dans le canton de Vif, au département de l’Isère ; elle s’appelle Marie Armand et a gardé le surnom de Mariette, qu’on lui a donné au temps de son enfance. Elle était de famille pauvre et nombreuse ; elle perdit sa mère et, quoique enfant, la remplaça auprès de ses deux frères et de ses sœurs. A l’âge de dix-sept ans, elle entra en condition à Grenoble, chez Mme X… Elle y resta trente ans, ne conservant rien pour elle de l’argent qu’elle gagnait et le remettant à son père âgé, infirme et incapable de travail. Mariette, après la mort de Mme X.., resta au service de la fille de celle-ci. La famille était riche ; un désastre financier l’atteignit et la ruina. Ce n’était pas seulement la gêne qui pénétrait dans-la maison, c’était la misère. La fille de Mme X… vint à Paris, désespérée, malade, et fut admise au pensionnat de Marie-Auxiliatrice. Mariette avait suivi sa maîtresse, dédaignant les offres de place et de mariage qu’on ne lui avait pas ménagées à Grenoble. Elle servit, en qualité de cuisinière, chez un magistrat, et elle portait régulièrement à Mlle X. » le produit de ses gages. Un jour, elle tomba évanouie dans la cour du pensionnat ; les religieuses la secoururent, le médecin l’examina : la malheureuse était atteinte de phtisie et de ce que l’euphémisme des gens bien élevés appelle une tumeur fibreuse. Les sœurs la firent transporter à Villepinte. Elle y reste ce qu’elle a été toute sa vie, un exemple d’abnégation et de dévoûment ; quand ses souffrances lui accordent quelque répit, nulle n’est plus active auprès des jeunes poitrinaires. Le legs de M. de Montyon a permis de récompenser tant de vertu. Ce n’est pas sans un certain orgueil que je constate, au cours de ces études, que partout où je rencontre une action exceptionnellement belle, j’aperçois l’Académie française prête à la signaler et à lui offrir, un de ces prix dont la valeur morale dépasse la valeur matérielle.

Lorsque je ; fis ma première visite à l’asile de Villepinte, j’y étais attendu : la supérieure générale m’y avait précédé ; on était venu