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La benzine n’est que l’un des nombreux carbures contenus dans le goudron, et la nitrobenzine n’est que l’un des dérivés nitrés de la benzine. La benzine a, en outre, des dérivés iodés, chlorés ou bromes. Ces dérivés ne s’obtiennent pas seulement par substitutions successives de l’iode, du chlore ou du brome, à un ou plusieurs atomes d’hydrogène ; ils s’obtiennent aussi par addition, sans déplacer l’hydrogène. On connaît encore des sulfodérivés ; puis des dérivés nitrés de la benzine chlorée, bromée ou iodée. Au lieu du chlore, du brome ou de l’iode, on eût pu substituer à l’hydrogène des radicaux organiques et recommencer de nouvelles séries. Et ces séries de dérivés que fournit la benzine, — le toluène, le xylène et cent autres carbures pourraient les fournir aussi. Les mathématiciens nous montrent l’effrayant total des divers arrangemens possibles de quelques unités disposées en groupes de deux, trois ou plus. Dans les arts, nous avons deux exemples de cette étrange multiplicité : la musique varie à l’infini les arrangemens des sept notes de la gamme ; et la chimie varie à l’infini les arrangemens des sept ou huit corps simples qui se rencontrent dans les matières organiques. Et si nous osions poursuivre cette comparaison, nous dirions que les arrangemens musicaux dérivent d’un certain accord fondamental, et que les arrangemens chimiques dérivent d’un certain modèle, tel que la benzine, auquel il est aisé de rapporter toute la série. Pour une manière particulière de combiner ensemble les atomes et pour une série de combinaisons qui rappelleront toujours cette manière, c’est le type, c’est l’accord parfait.

L’aniline existe toute formée dans le goudron de houille, mais en très petite quantité. L’industrie ne l’y cherche pas : les procédés d’extraction seraient trop coûteux. On a donc été amené à préférer fabriquer d’abord la nitrobenzine, puis la réduire, c’est-à-dire la débarrasser de son oxygène en la mettant en présence de substances avides de ce corps. C’est la méthode enseignée par le chimiste russe Zinin. les procédés de réduction ont beaucoup varié. Zinin s’était servi du gaz hydrogène sulfuré. Aujourd’hui, d’après les conseils de M. Béchamp, le fer, en très petites particules, et l’acide acétique, sont les corps réducteurs le plus généralement employés.

Au début de cette industrie, les fabricans anglais Maule et Nicholson, les premiers qui s’y soient livrés, vendaient l’aniline au prix. de 80 francs le kilogramme. Elle vaut maintenant de 4 à 6 fr. Rarement on a vu des progrès si rapides et de si brusques révolutions économiques. Tandis que le prix de la marchandise fabriquée descendait si bas, le prix de la matière première, très demandée, avait monté : telle est la loi. Le kilogramme d’aniline tombait de 80 à 4 francs ; la tonne de goudron montait de 4 à 70 francs. Dans une situation commerciale si instable, les industriels n’ont qu’une