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définitivement ratifié. Au Palais-Bourbon, la chambre des députés a évoqué devant elle la crise économique et industrielle qui sévit un peu partout, en France plus qu’en tout autre pays, et la discussion n’est même pas encore épuisée. On a eu sous les yeux pendant quelques jours ces séances du Palais-Bourbon et du Luxembourg. Franchement, à n’en juger que par l’autorité, les lumières, la compétence, le talent déployés dans chacun de ces débats, quelle est celle des deux assemblées qui s’est montrée supérieure, qui aurait quelque peu le droit de réviser l’autre ? De ces deux discussions simultanées, quelle est celle qui a le plus d’éclat, le plus d’utilité pour le pays ? Le contraste est piquant dans tous les cas. et le moment est bien choisi, on en conviendra, pour réveiller cette question d’une révision constitutionnelle, avec une arrière-pensée d’hostilité ou de défiance contre celle des assemblées françaises dont les prérogatives restent encore la plus efficace des garanties pour la fortune nationale. M. le président du conseil a décidément manqué d’à-propos en recherchant, par son discours révisionniste au Palais-Bourbon, une vaine popularité aux dépens du sénat. Le sénat lui a répondu aussitôt en montrant que par sa vigilance il était à la hauteur des pouvoirs que la constitution lui donne, et que par le talent il restait l’honneur du régime parlementaire.

Ce n’est point sans doute la première fois qu’il y a au Luxembourg une de ces sérieuses et brillantes controverses sur les plus grands intérêts publics, sur nos affaires de finances. Cette dernière discussion qui vient de se dérouler pendant quelques jours a eu, il faut l’avouer, un caractère particulier de force et d’éclat, d’ampleur et de précision. Les orateurs les plus éminens, M. Chesnelong, M. Buffet, avec sa savante et ferme parole, M. Bocher, avec sa fine et lumineuse éloquence, M. Pouyer-Quertier lui-même, avec son abondance un peu diffuse, mais toujours instructive, se sont engagés à fond dans cette lutte, armés de chiffres et de vigoureuses démonstrations. M. le ministre des finances, M. le rapporteur Dauphin, ont représenté, non certes sans talent et sans habileté, le gouvernement et la commission sénatoriale. M. de Freycinet, à son tour, s’est fait un devoir de prendre la défense de sa politique des grands travaux publics qui, en définitive, est l’explication de bien des difficultés auxquelles on ne sait comment faire face aujourd’hui. M. Léon Say, de son côté, est intervenu sur des points spéciaux, et cette belle, cette substantielle discussion a eu surtout un mérite : elle est restée une grande discussion d’affaires, animée d’éloquence et de science, dégagée des vaines et obsédantes préoccupations de parti, relevée par un sentiment supérieur des intérêts nationaux. Qu’il y ait eu des critiques assez vives, même parfois un peu amères, c’est possible ; ces critiques, au bout du compte, n’avaient d’autre objet que la sauvegarde de l’ordre financier, et la meilleure preuve que, tout en étant vives, elles étaient justes,