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pour appuyer cette vaine déclaration de principes, il abandonnait aux ouvriers 1 million de l’ancienne liste civile. Ceux-là seuls qui ont vécu à cette époque de troubles et d’illusions peuvent comprendre aujourd’hui dans quel intérêt et sous quelle pression les membres du gouvernement provisoire, qui ne manquaient certes ni d’intelligence ni de courage, se crurent condamnés à signer de telles proclamations. A peine réunie, l’assemblée constituante eut à s’inquiéter du problème que le gouvernement provisoire venait de lui léguer. Elle institua un comité du travail, chargé d’étudier les systèmes, d’écouter les propositions et de préparer une législation nouvelle, destinée à satisfaire, dans la mesure du possible, les réclamations, les revendications, devenues menaçantes, des ouvriers parisiens. Réduits au rôle de législateurs, c’est-à-dire obligés de compter avec la réalité, avec les lois économiques, avec le budget, les apôtres du socialisme, dont quelques-uns faisaient partie du comité du travail, ne surent imaginer aucune combinaison qui pût être acceptée par une assemblée sérieuse ; mais en même temps, comme l’émeute grondait, l’émeute de la misère, tous les groupes politiques de l’assemblée se trouvèrent d’accord pour faciliter les essais d’associations ouvrières.

La première proposition concernant les associations fut soumise, le 9 juin 1848, à l’assemblée nationale par un député républicain, M. Alcan, professeur au Conservatoire des arts et métiers, très expert dans toutes les questions industrielles. M. Alcan n’avait point de parti-pris : il jugeait cependant que les circonstances commandaient « d’expérimenter ce qu’il y a d’utilement réalisable dans le vaste problème de l’association entre le capital et le travail, » et, à cet effet, il proposait le vote d’un crédit annuel de S millions, pendant dix années, lequel serait distribué sous forme de prime, un tiers aux associations industrielles ou agricoles formées entre patrons et travailleurs ouvriers ou entre ouvriers seulement, les deux tiers aux sociétés de secours mutuels constituées en faveur des travailleurs. D’après le projet, la distribution de ces primes devait avoir lieu solennellement, le 4 mai de chaque année, devant le pouvoir exécutif et l’assemblée nationale. L’idée de ce concours général des associations, y compris la distribution solennelle des prix, paraît singulière ; mais il ne faut pas oublier que l’intérêt politique et le désir de produire un grand effet sur l’esprit des ouvriers pouvaient excuser une procédure quelque peu théâtrale. Au surplus, sans s’arrêter à ce détail d’exécution, l’assemblée nationale prit en considération le projet de M. Alcan et le renvoya au comité du travail, qui l’examina d’urgence. D’après le projet définitif, qui fut discuté le 4 juillet 1848 et publié le lendemain sous forme de décret,