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M. Cailletet, dont le nom va revenir souvent dans cette étude, employa ensuite, sans plus de succès, une pompe à pression hydraulique avec laquelle il pouvait comprimer l’air et l’hydrogène jusqu’à plus de 700 atmosphères ; puis il imagina le procédé suivant, aussi original que simple. Un tube d’acier très flexible, très long, très fin, que l’industrie sait préparer aujourd’hui par une merveille d’adresse et dont le canal intérieur est rempli de mercure, fut enroulé sur un tambour au-dessus du puits artésien que l’on creusait sur la Butte-aux-Cailles. Ce tube était joint à son extrémité inférieure avec un manomètre plein de gaz qu’on descendait dans le puits en déroulant le treuil ; la colonne de mercure s’allongeait, exerçait sur le gaz une pression croissante et qui atteignait 1,000 atmosphères à la profondeur de 760 mètres ; mais rien ne se produisit. Après des tentatives si nombreuses, poussées si loin, jusqu’à la rupture de tous les vases, on fut bien obligé de reconnaître qu’à la température ordinaire la pression seule, tout énorme qu’on la fasse, est impuissante à liquéfier les gaz. On y renonça. Quant à la cause de cet insuccès, elle est tout entière dans l’ignorance où on était alors des propriétés fondamentales des gaz.

Les expériences de Mariotte et de Boyle n’avaient aucune précision : les physiciens le savaient et beaucoup voulurent les recommencer et surtout les étendre ; ils ne réussirent qu’à augmenter la confusion jusqu’au moment où Dulong et Arago, avec leur grande autorité et après des mesures qui dépassaient en exactitude tout ce qu’on avait fait jusque-là, déclarèrent exacte pour l’air, jusqu’à 30 atmosphères, une loi si contestée. Ce fut avec un véritable étonnement que Despretz renouvela les doutes en prouvant que chaque gaz a son allure individuelle et qu’il n’y a pas de loi générale ; enfin, Regnault recommença le travail de Dulong, confirma les exceptions de Despretz. On doit avouer que son travail est un chef-d’œuvre d’exactitude ; mais il opérait à la température ordinaire et s’arrêta à 30 atmosphères : ce n’était pas une solution générale ; il aurait fallu étudier tous les gaz depuis les plus faibles jusqu’aux plus énergiques pressions ; il aurait fallu surtout chercher l’effet des températures depuis les plus basses jusqu’aux plus élevées ; mais personne n’y avait encore songé.

C’est un physicien anglais, Andrews, qui attaqua le problème dans sa généralité et changea la question de face. Andrews prend l’acide carbonique comme type ; il le prend à l’état de gaz vers 13 degrés et le comprime. Ce gaz commence par diminuer de volume suivant une progression plus rapide que la loi de Mariotte et qui s’exagère de plus en plus. A 50 atmosphères, il se liquéfie tout à coup, prenant brusquement une densité très grande et tombant au fond du vase, où il demeure séparé de sa vapeur par une