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opposer les parties faibles de sa ligne à des chocs qu’elles seraient impuissantes à soutenir. Une armée navale rangée en bataille constitue en quelque sorte une phalange marine : les plus gros navires doivent, comme des lochages[1], supporter le premier effort de l’ennemi. Nous les rangerons donc en avant de tous les autres et nous donnerons à leurs équipages de plus fortes armures que les armures ordinaires. »

Ne reconnaissez-vous pas ici le rôle attribué aux galéasses dans la célèbre bataille de Lépante ? Que les traditions sont vivaces et quel empire elles exercent encore sur ceux mêmes qui se figurent le plus naïvement n’obéir qu’aux inspirations de leur génie ! L’homme est perfectible sans doute, et c’est bien par ce trait surtout qu’il se distingue des autres ouvrages du Créateur ; néanmoins sa perfectibilité ne le sépare jamais complètement du passé ; il y tient, comme l’arbre au sol, par mille racines.

L’écrivain byzantin attache une importance majeure à la conservation de l’ordre dans lequel les vaisseaux ont été rangés ; il veut que cet ordre soit maintenu, non-seulement pendant le combat, mais aussi durant le cours de la navigation. « Les armées habituées à marcher en ordre, écrit-il, se trouvent tout naturellement ordonnées pour combattre quand arrive le moment d’engager l’action. Toute formation qui présente à l’ennemi la phalange déployée doit être considérée comme un ordre de bataille. Le déploiement en ligne droite est évidemment, de tous les ordres de bataille, le plus simple. Il permet de déborder rapidement l’ennemi en augmentant tout à coup les intervalles, de détacher même de chaque aile quelques vaisseaux légers qui iront prendre la ligne de l’adversaire à dos. Néanmoins, quand nous serons conduits par une considération quelconque à livrer bataille à un ennemi supérieur en force, il conviendra peut-être de courber la phalange de manière à lui donner la figure d’une faux ou d’un croissant. L’ennemi hésitera certainement à s’engager dans l’intérieur de la courbe ; il y serait accablé par les flèches qui lui viendraient de droite et de gauche. Dans cette formation, le centre étant flanqué, protégé par les ailes, c’est au centre qu’il sera bon de placer les navires les plus faibles ; les extrémités de la ligne devront être, au contraire, occupées par les vaisseaux les plus forts et les mieux armés. Il importe toutefois que la courbe ne soit pas trop profonde ; si elle dégénérait en demi-cercle, l’ennemi pourrait se porter en nombre sur une des extrémités de la phalange et l’écraser avant que les vaisseaux du centre arrivassent au secours de l’aile menacée.

  1. Voyez, dans la Revue du 15 octobre 1880, la Bataille d’Issus.