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publicistes qui ne pensaient pas que l’Angleterre pût facilement se passer d’une chambre haute n’ont pas laissé de remarquer a qu’une assemblée qui se recrute par le droit d’aînesse combiné avec les hasards de l’histoire ne possède pas nécessairement le don de sagesse. » Ils ont remarqué aussi que les lords, à la réserve de quelques jurisconsultes et de quelques déclassés, sont presque tous de grands propriétaires plus ou moins opulens, et qu’en révisant la législation, ils ne s’inspirent que des intérêts, des sentimens et des préjugés de la classe qu’ils représentent. Ils ont remarqué encore que le vote par procuration est un abus, que les pairs qui assistent aux séances sont bientôt comptés, qu’il en est quelquefois jusqu’à six, et qu’une assemblée de cinq cents membres à qui il suffit que trois soient présens pour qu’elle entre en délibération, ne peut donner à ses décisions beaucoup d’autorité. Ils ont remarqué enfin que nous vivons dans un siècle où les intérêts économiques ont le pas sur tous les autres, et qu’il est difficile de les comprendre quand on n’a pas l’esprit des affaires : « Un jeune lord qui vient d’hériter de 750,000 francs de rente, disait M. Bagehot, n’ira pas en général se préoccuper de lois sur les brevets d’invention, sur les péages ou sur les prisons. Comme Hercule, il peut préférer au plaisir la vertu, mais Hercule lui-même ne serait pas tenté de préférer les affaires au plaisir. »

Jusqu’au grand acte de réforme de 1831, qui a créé l’Angleterre moderne, il ne pouvait éclater entre les deux chambres que des conflits sans conséquence. Ce n’étaient pas des batailles, ce n’étaient que des escarmouches. « La noblesse était alors le pouvoir prépondérant dans le pays. L’industrie, les chemins de fer, les obligations, les dividendes n’avaient pas encore multiplié dans son voisinage ces grandes existences qui avec le temps finiront par l’éclipser. Dans beaucoup de districts la parole d’un lord était toute la loi. La plupart des députés des bourgs et le plus grand nombre des députés des comtés étaient les créatures de l’aristocratie : on lui obéissait respectueusement, pieusement. Si l’assemblée des pairs n’était que la seconde du parlement, les pairs, comme individus, étaient les premiers personnages du pays. » Dans de telles conditions, l’accord était facile à ménager entre deux assemblées soumises aux mêmes influences, animées du même esprit. Sans doute, on se disputait quelquefois. Il y a des oiseaux si batailleurs que si vous approchez d’eux une glace où ils voient se refléter leur image, ils lui allongent de grands coups de bec ; les plus intelligens regardent derrière la glace, s’aperçoivent qu’il n’y a personne et se tranquillisent. Quand la chambre des lords et la chambre des communes procédaient de la même source et que les opinions de l’une n’étaient que le reflet des opinions de l’autre, les luttes ne pouvaient être bien vives ni bien dangereuses. Il n’en va plus de même