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de la prendre ! » Mme de Grignan, moins sévère qu’on ne l’aurait pu croire, ne craignait pas d’encourager ou du moins d’abandonner à lui-même le petit amour-propre de Pauline, et sa mère approuvait cette conduite : « Vous avez raison de supprimer la modestie de Pauline ; elle serait usée à quinze ans ; une modestie prématurée et déplacée pourrait faire de méchans effets. » Pauline écrit à sa grand’mère ; et déjà celle-ci parle « de son style. » C’est un don de famille[1]. Mme de Grignan ne jouissait toujours qu’avec quelques remords des plaisirs de la maternité. Elle racontait à sa mère et ses plaisirs et ses scrupules. Celle-ci la rassurait et la louait fort de jouer avec ses enfans. Voici un charmant tableau qui nous revient par ricochet : « Que vous avez bien fait de fourrer dans votre litière tous vos petits enfans ! La jolie petite compagnie ! Ne vous ôtez point toutes ces petites consolations. »

Il était si souvent question de la santé dans ces lettres qu’il est inutile d’insister sur ce sujet : ce serait toujours la même chose. Disons seulement que Mme de Grignan se félicitait en quelque sorte de ses maux, parce qu’ils occupaient assez sa mère pour lui faire oublier le chagrin de la séparation : « Votre poitrine est comme des morailles[2] qui m’empêchent de sentir le mal de ne vous avoir plus : je tiens de vous cette comparaison. » La poitrine allant mieux, Mme de Grignan disait à sa mère « qu’elle n’avait qu’à rire, puisqu’elle n’avait plus que l’absence à soutenir. » La préoccupation de sa santé avait conduit Mme de Grignan à l’étude de la médecine, et sa mère la félicitait de ce singulier goût : « Je suis persuadée qu’avec cette intelligence et cette facilité d’apprendre que Dieu vous a donnée, vous en saurez plus que les médecins ; il vous manquera quelque expérience ; et vous ne tuerez pas impunément comme eux ; mais je me fierais plutôt à vous qu’à eux… Apprenez, apprenez ; il ne vous faudra point d’autre licence que de mettre une robe comme dans la comédie. » Mme de Grignan, comme toutes les personnes qui se piquent de médecine, raisonnait sur son état : « Vous parlez de votre mal avec une capacité qui m’étonne. » Elle souffrait à la fois du vent du nord et du vent du midi, qui sont les deux fléaux de la Provence. Elle disait à sa mère : « La délicatesse de ma poitrine égale nos âges. »

Quelque chrétienne que fût Mme de Sévigné, elle avait une dévotion éclairée et élevée ; et cette dévotion s’entendait avec la

  1. Nous avons des lettres de Pauline (Mme de Simiane). Elles sont bien inférieures à celles de sa grand’mère et probablement aussi à celles de sa mère. Elles sont naturelles et sensées, mais froides et sans le moindre éclat.
  2. Espèce de tenailles que les maréchaux mettent au nez ou à la lèvre des chevaux. Dictionnaire de l’Académie, 1694.)