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Grignan disait qu’elle aurait eu besoin « que l’année n’eût que six mois. » Mme de Sévigné n’aimait guère ce système. Elle trouvait que ce grand train était plutôt nuisible qu’utile au crédit de M. de Grignan : « Si cela servait à la fortune de quelqu’un de votre famille, je le souffrirais ; mais vous pouvez compter qu’en ce pays-ci (à la cour), vous serez trop heureuse si cela ne vous nuit pas. L’intendant ne parle que de votre magnificence, de votre grand air, de vos grands repas. Mme de Vins (la fille de Pomponne) en est tout étonnée, et c’est pour avoir cette louange que vous auriez besoin que l’année n’eût que six mois. Cette pensée est dure de songer que tout est sec pour vous jusqu’au mois de janvier. » Ainsi cette magnificence qui ruinait Mme de Grignan nuisait presque à son crédit, car on savait que sa fortune n’était pas en proportion. Elle n’y trouvait même pas l’avantage de s’y amuser et d’en tirer du plaisir ; car c’était une fatigue pour elle, et elle se retirait dans sa chambre pendant que ses hôtes s’amusaient à ses frais. Elle regrettait un peu ces dépenses quand elles étaient faites, aurait voulu être restée à Paris, et, dans son injustice, faisait retomber le tort de son départ sur tout le monde, et même sur sa mère : « Je voudrais bien que vous ne me missiez pas dans le nombre de ceux que vous trouvez qui souhaitaient votre départ. » Malgré ces dépenses excessives, on se plaignait encore à Aix « de la frugalité du régal. » Même la vie à Grignan n’était qu’une économie relative : « Vous savez bien que, quand nous étions seuls, nous étions cent dans votre château. » Mais Mme de Grignan ne voulait pas croire que « le nombre ôtât la douceur et le soulagement du bon marché. » Elle était un peu piquée des réflexions maternelles ; elle expliquait longuement la nécessité de toutes ces profusions, et sa mère s’excusait en répondant : « Je me suis dit tout ce que vous me dites ; mais on vous en parle pour entendre vos raisons. »

Ainsi, Mme de Grignan, malgré sa grandeur ou à cause d’elle, passait sa vie dans les soucis, et elle les approfondissait encore par la réflexion : « Vos rêveries ne sont jamais agréables ; vous vous les imprimez plus fort qu’une autre. » Elle ne trouvait même pas beaucoup de distraction dans la lecture, car elle n’aimait pas les lectures frivoles et divertissantes ; elle n’aimait que les pensées sérieuses, qui contribuaient à l’attrister : « Vos lectures sont trop épaisses, lui écrit sa mère ; vous vous ennuyez des histoires et de tout ce qui n’applique pas. C’est un malheur d’être si solide et d’avoir tant d’esprit. » Sur ce mot, Mme de Sévigné craint que sa fille ne s’effarouche et ne le prenne à mal ; elle se hâte de l’expliquer dans la lettre écrite le lendemain : « Vous croyez peut-être sur ce que je vous ai dit que vous aviez trop d’esprit, que je vais disant