Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique. La Révolution a besoin d’un autre interprète, paré comme elle de dehors spécieux[1], et tel est Robespierre, avec sa tenue irréprochable, ses cheveux bien poudrés, son habit bien brossé[2], avec ses mœurs correctes, son ton dogmatique, son style étudié et terne. Aucun esprit, par sa médiocrité et son insuffisance, ne s’est trouvé si conforme à l’esprit du temps ; à l’inverse de l’homme d’état, il plane dans l’espace vide, parmi les abstractions, toujours à cheval sur les principes, incapable d’en descendre, et de mettre le pied dans la pratique. « Ce b…..-là, disait Danton, n’est pas seulement capable de faire cuire un œuf. » — « Les vagues généralités de sa prédication, écrit un autre contemporain[3], n’aboutissaient pour l’ordinaire à aucune mesure, à aucun projet de loi. Il combattait tout, ne proposait rien, et le secret de sa politique s’accordait heureusement avec l’impuissance de son esprit et la nullité de ses conceptions législatives. » Quand il a dévidé le fil de sa scolastique révolutionnaire, il est à bout. — En matière de finances et d’art militaire, il ne sait rien et ne se risque pas, sauf pour dénigrer ou calomnier Carnot et Cambon, qui savent et se risquent[4]. En fait de politique extérieure, son discours sur l’état de l’Europe est une amplification d’écolier ; quand il expose les plans du

  1. On peut suivre, dans les rapports de police, l’effet de son attitude sur le gros public, notamment à la fin de 1793 et au commencement de 1794. — (Archives nationales, F7, 3116 7). (Rapport de Charmont, 6 nivôse an II.) « Robespierre gagne singulièrement dans l’esprit public, surtout par le discours à la Convention, où il a dit qu’il faut que tous ses collègues se serrent pour écraser les monstres qui sont dans l’intérieur, et qu’il les abjure tous à seconder le nouveau gouvernement révolutionnaire par leurs lumières et leurs talens… Je peux dire que j’ai entendu partout prononcer son nom avec admiration. On finissait par dire qu’il serait à désirer que tous les membres de la Convention adoptent toutes les mesures présentées par Robespierre. » — (Rapport de Rollin, 8 nivôse.) « Le citoyen Robespierre est célébré partout, dans les groupes et dans les cafés. On assurait au café Manouri que ses vues touchant le gouvernement étaient les seules qui, semblables à l’aiman, pouvaient rattacher tous les citoyens à la révolution, il n’en est pas de même du citoyen Billaud-Varennes. » — (Rapport de Pourvoyeur, 9 nivôse.) « Dans quelques groupes particuliers et sociétés, on répandait le bruit que l’on voulaient nommer Robespierre pour dictateur. Le peuple rend justice à ses vertus austères ; il observe qu’il n’a jamais changé d’opinion depuis la révolution. »
  2. Souvenirs d’un déporté, par P. Villiers (secrétaire gratuit de Robespierre pendant sept mois en 1790), p. 2 : « D’une propreté recherchée. » — Buchez et Roux, XXXIV, 94. (Portrait de Robespierre publié par les journaux après sa mort.) « Ses habits étaient d’une propreté élégante et sa chevelure toujours soignée. »
  3. D’Héricault, la Révolution du 9 Thermidor. (Paroles de Daunou.) — Meillan, Mémoires, p. 4. « Son éloquence n’était qu’un tissu de déclamations sans ordre, sans méthode et surtout sans conclusion. Nous étions obligés, chaque fois qu’il parlait, de lui demander où il voulait en venir. Jamais il n’avait un remède à proposer ; il laissait aux autres, et surtout à Danton, le soin de chercher des expédiens. »
  4. Buchez et Roux, XXXIII, 427, 438, 440, 441, (Discours de Robespierre, 8 thermidor an II.)