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politique ; on complote contre l’état par cela seul qu’on affiche le matérialisme ou qu’on prêche l’indulgence, quand on est scandaleux dans sa conduite ou débraillé dans ses mœurs, quand on agiote, quand on dîne trop bien, quand on est vicieux, intrigant, exagéré ou trembleur, quand on agite le peuple, quand on pervertit le peuple, quand on trompe le peuple, quand on blâme le peuple, quand on se défie du peuple[1], bref, quand on ne marche pas droit, au pas prescrit, dans la voie étroite que Robespierre a tracée d’après les principes. Quiconque y choppe ou s’en écarte est un scélérat, un traître. Or, sans compter les royalistes, les Feuillans, les Girondins, les Hébertistes, les Dantonistes et autres déjà décapités ou incarcérés selon leurs mérites, combien de traîtres encore dans la Convention, dans les comités, parmi les représentans en mission, dans les administrations mal épurées, parmi les tyranneaux subalternes, dans tout le personnel régnant ou influent à Paris et en province ! Hors « une vingtaine de trappistes politiques » à la Convention, hors le petit groupe dévoué des Jacobins purs à Paris, hors les rares fidèles épars dans les sociétés populaires des départemens, combien de Fouché, de Vadier, de Tallien, de Bourdon, de Collot parmi les soi-disans révolutionnaires ! combien de dissidens déguisés en orthodoxes, de charlatans déguisés en patriotes, de pachas déguisés en sans-culottes[2] ! Ajoutez cette vermine à celle que veut écraser Marat : ce n’est plus par centaines de mille, c’est par millions, comme le crient Baudot, Jean Bon Saint-André et Guffroy, qu’il faut compter les coupables et abattre les têtes. — El toutes ces têtes, Robespierre, selon ses maximes, doit les abattre. Il le sait ; si hostile

  1. Buchez et Roux, XXXIII, 193 (Rapport de Couthon et décret conforme, 22 prairial an II.) « Le tribunal révolutionnaire est institué pour punir les ennemie du peuple… La peine portée contre tous les délits dont la connaissance appartient au tribunal révolutionnaire est la mort. Sont réputés ennemis du peuple ceux qui auront trompé le peuple ou les représentans du peuple, pour les induire à des démarches contraires aux intérêts de la liberté, ceux qui auront cherché à inspirer le découragement, pour favoriser les entreprises des tyrans ligués contre la république, ceux qui auront répandu de fausses nouvelles, pour diviser ou pour troubler le peuple, ceux qui auront cherché à égarer l’opinion et à empêcher l’instruction du peuple, à dépraver les mœurs et à corrompre la conscience publique, à altérer la pureté et l’énergie des principes révolutionnaires et républicains, ou à en arrêter les progrès,.. ceux qui, étant chargés de fonctions publiques, en abusent pour servir les ennemis de la révolution, pour vexer les patriotes, pour opprimer le peuple. »
  2. Buchez et Roux, XXXV, 290. (Institutions, par Saint-Just.) « La Révolution est glacée ; tous les principes sont affaiblis ; il ne reste que des bonnets rouges portés par l’intrigue. » — Rapport de Courtois, Pièces justificatives, n° 20. (Lettre de Peys et Rompillon, président et secrétaire du comité de surveillance de Saint-Calais, à Robespierre, 15 nivôse an II.) « Douze à quinze hommes seulement, sur lesquels tu peux compter comme sur toi-même, composent ici la Montagne. Le reste est trompé, séduit, égaré, corrompu, entraîné, et l’esprit public (est) perdu par l’or et l’intrigue des honnêtes gens. »