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où aucune protection ne défendait le peuple contre la violence, l’injustice et les exactions, les sociétés secrètes faisaient aisément des prosélytes. La Triade, qu’on croyait avoir étouffée par la persécution, s’était reconstituée et étendait partout ses ramifications. Elle avait pour avant-garde la société du Nénuphar reverdissant, qui se proposait pour but le renversement de la domination tartare et le rappel des Mings. Beaucoup de Chinois, même des classes élevées, entrèrent dans l’une ou l’autre de ces sociétés, qui unissaient leurs efforts dans une action commune. Le serment que les chefs de la Triade faisaient prêter à leurs initiés débutait ainsi : « Nous unirons partout nos efforts pour rappeler les Mings, exterminer les barbares, décapiter le Tsing (l’empereur mandchou), et nous attendons le prince légitime. » L’objet de la conspiration était donc de mettre fin à la domination des Tartares et d’y substituer une monarchie et une administration nationales. Cela ressort clairement d’une proclamation qui fut distribuée, un peu plus tard, dans les provinces du Sud et jusque dans Canton. Elle était ainsi conçue : « La dynastie actuelle est simplement mandchoue, elle est sortie d’un petit peuple, mais la puissance de ses troupes lui a permis d’usurper la possession de la Chine et de s’approprier son revenu, d’où il suit que le premier venu peut tirer de l’argent de la Chine pourvu qu’il soit puissant à la guerre. Il n’y a point de différence entre celui qui lève une contribution sur les villageois et les autorités qui prennent les revenus des provinces. Quiconque peut prendre garde ce qu’il a pris. Alors pourquoi envoie-t-on sans motif des troupes contre nous ? C’est le comble de l’injustice. Les Mandchous prennent les revenus des provinces et nomment des fonctionnaires qui oppriment le peuple : pourquoi nous, Chinois de naissance, serions-nous exclus du droit de lever de l’argent ? La souveraineté universelle n’appartient à personne en particulier et une dynastie de cent générations d’empereurs ne s’est pas encore vue : il ne s’agit donc que de conquérir pour soi la possession. » On faisait également circuler de petits livres qui contenaient des conseils sur l’art de faire la guerre. Comme on y recommandait de prendre exemple sur les chrétiens qui se battaient mieux que les Tartares, qu’on y opposait l’unité de Dieu au culte des idoles, et qu’on y exposait une doctrine qui se rapprochait des dogmes chrétiens bien qu’en d’autres termes et avec des différences sensibles, les missionnaires protestans crurent à des tendances favorables au. christianisme, peut-être même à un commencement de conversion, et beaucoup attendirent du mouvement qui éclatait la régénération de la Chine.

Dès l’année 1850, des troubles se produisirent dans la province de Kouan-Si, qui, avec celle de Kouan-Tung, forme la vice-royauté de Canton. On refusait de payer les impôts, on maltraitait les