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Taïpings avait complètement trompé les commandans impériaux, qui avaient cru à une invasion de la province de Shansi. Si les Taïpings, au lieu de continuer leur marche dans la direction de Tien-Tsin, avaient brusquement tourné à l’ouest et remonté une des branches du Peïho, ils seraient arrivés jusqu’à Pékin sans rencontrer de résistance sérieuse ; mais ils croyaient les impériaux en force ; ils étaient épuisés par la rude campagne qu’ils venaient de faire ; la saison était déjà fort rigoureuse ; la terre se couvrait de neige ; ils manquaient d’approvisionnemens et de moyens de transport. Lorsqu’ils virent paraître un corps d’impériaux devant eux, ils rétrogradèrent jusqu’aux fortes positions de Tsinghaï, où ils s’établirent et se retranchèrent pour y passer l’hiver. Le gouvernement impérial avait appelé sous les armes tous les hommes valides de la Mandchourie et de la Mongolie : toutes ces nouvelles levées furent mises sous les ordres d’un prince tartare, Sankolinsin, élevé au rang de généralissime. A la fin de l’hiver, en mars 1854, Sankolinsin se trouva à la tête de forces suffisantes pour prendre l’offensive, et les Taïpings, craignant d’être enveloppés, évacuèrent leur camp pour se replier sur des positions plus faciles à défendre. Ils furent rejoints dans cette retraite par une armée que Tien-Wang envoyait à leur secours ; ils défirent Sankolinsin, s’emparèrent de la forteresse de Sintsing et se bornèrent à se maintenir fermement entre le Peïho et le Grand Canal, en renonçant à toute idée d’une marche sur Pékin.

La fortune, jusque-là, avait presque constamment souri aux Taïpings : ils étaient maîtres d’une grande partie de l’empire, ils avaient établi un gouvernement qui se prétendait national et auquel les populations se montraient favorables ; les impôts se percevaient, les levées d’hommes s’effectuaient avec autant de facilité et de régularité que si ce gouvernement eût compté de longues années d’existence. Avec un peu plus d’habileté ou avec une plus exacte connaissance de leur situation, ils auraient pu mettre fin à la domination des Mandchous. Les missionnaires protestans se prononçaient chaleureusement en leur faveur et réclamaient pour eux les sympathies de l’Angleterre. Les négocians, établis dans les grands ports, ne leur devinrent hostiles que lorsque les adeptes de la Triade eurent provoqué des insurrections à Canton, à Amoy, à Shanghaï, et, non contens de vouloir y renverser l’autorité de l’empereur, eurent tenté d’incendier les factoreries et menacé la vie des Européens. Ils ne virent plus alors dans les Taïpings que des bandits, des ennemis de la paix publique, des destructeurs du commerce. Lorsque Tien-Wang eut pris- possession de Nankin et étendu son autorité sur tout le cours du Yang-tse, le surintendant anglais, sir G. Bonham, crut nécessaire de se mettre en rapport