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formel de l’impératrice Tsi-Hsi pour que Li-Hung-Chang ne fût pas désavoué ; mais l’opposition ne fut point désarmée. Dès que les clauses du traité furent connues, le collège des Hanlin présenta un mémoire dans lequel il établissait les droits historiques de la Chine sur l’Annam et flétrissait le traité comme une atteinte à l’intégrité de l’empire et un outrage à l’honneur national. Plus de soixante mémoires désapprobatifs furent adressés de diverses provinces à l’impératrice par les censeurs. La plupart de ces protestations insistaient sur l’imprudence d’accepter le contact de la domination française pour les trois provinces qui étaient les plus éloignées du siège du gouvernement, et où l’on avait eu le plus de peine à rétablir l’autorité impériale. Quelques-unes accusaient Li-Hung-Chang d’avoir vendu à l’étranger la sécurité et l’honneur de son pays. Des placards injurieux pour les membres du gouvernement étaient affichés, toutes les nuits, dans Pékin et jusque sur les murs du palais du Tsung-li-Yamen.

Ce déchaînement de l’opinion ne pouvait manquer d’accroître la confiance et la force de l’opposition. L’autorité du prince Kung était fort ébranlée : la mort du premier ministre Wansiang, puis celle de Tseng-Kouofan, l’homme le plus populaire de la Chine, enfin celle de l’impératrice douairière Tsi-Anu, lui avaient enlevé ses principaux appuis ; il ne lui restait plus que l’affection de sa belle-sœur, l’impératrice Tsi-Hsi, la mère de l’infortuné Tungché. D’un autre côté, le prince Chun, ardent, ambitieux et dans toute la force de l’âge, n’a pu se résigner longtemps à l’inaction à laquelle l’avait condamné l’élévation de son fils : il a fallu lui donner des commandemens militaires, puis le laisser revenir à la cour. L’opposition se rallia autour de ce prince, qui n’avait jamais déguisé sa haine pour les étrangers. Un édit inattendu apprit tout à coup à la population de Pékin que le prince Kung avait renoncé à la présidence du Tsung-li-Yamen et à la direction des affaires publiques, et que cette direction passait dans les mains du prince Chun. L’impératrice régente avait dû céder à la pression exercée sur elle par le père de l’empereur et par la grande majorité des membres de la famille impériale. Dès le lendemain, de nouveaux commandans furent nommés pour tous les corps d’armée et l’ordre fut expédié aux gouverneurs de mettre en état de défense les points du littoral qui avaient quelque importance. Le parti de la guerre domine aujourd’hui sans conteste à Pékin. Par prudence, il a voulu laisser à la France la responsabilité du renouvellement des hostilités, mais il est fermement résolu à accepter la lutte. Il faudra de graves événemens, et peut-être aussi une nouvelle révolution de palais pour mettre fin à la guerre qui vient de commencer.


CUCHEVAL-CLARIGNY.