Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 65.djvu/474

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

France, simplifierait tout évidemment en donnant aux choses leur vrai nom et obligerait à une certaine netteté de conduite. Pour le moment il faut en convenir, on reste dans une situation singulièrement et bizarrement indécise qui n’est plus la paix, qui n’est pas encore la guerre, et M. l’amiral Courbet, qui est le premier à l’action, ne peut certes qu’être embarrassé pour mesurer ses coups, pour choisir ses points d’attaque sans dépasser les limites d’une politique qui n’a pas cessé jusqu’ici de s’appeler la politique des gages, des représailles. La question est de savoir si on peut, avec dignité, avec profit, prolonger une équivoque, une fiction qui, en créant des difficultés de conduite dans une entreprise lointaine déjà assez compliquée, finit par provoquer à l’intérieur de véritables confusions où gouvernement et partis s’amoindrissent.

C’est, en effet, le destin de ces affaires de Chine. Elles n’occupent pas seulement nos marins et nos soldats qui, engagés au loin, paient de leur sang et de leur vie les indécisions, les contradictions d’une politique d’expédiens ; elles restent parmi nous l’occasion de perpétuelles contestations, de guerres intestines, l’inépuisable thème de polémiques où les partis s’épuisent en récriminations, en querelles vulgaires, en indiscrétions souvent compromettantes pour l’intérêt public. Les plus violens, ceux pour qui toutes les armes sont bonnes, cherchent dans ces affaires de Chine un moyen d’opposition et d’agitation dont ils se servent sans scrupule. La situation que le gouvernement s’est créée et qu’il a créée à la politique française en Chine est passablement équivoque, nous en convenons ; elle est de plus assez nouvelle, puisqu’elle n’a été jusqu’ici ni la paix ni la guerre, ou qu’elle a été tout à la fois, si l’on veut, la guerre et la paix. Était-ce absolument cependant une raison de tant se hâter de déclarer la constitution en danger, de réclamer sans plus de retard, sans plus de réflexion, une convocation au moins prématurée des chambres ? L’extrême gauche qui, au dernier congre ?, voulait détruire la constitution et qui, maintenant, se donne la mission de la défendre, a jugé avant tout le monde, dans sa sagesse, qu’il n’y avait plus un instant à perdre, qu’il fallait se hâter d’appeler les chambres à délibérer sur la paix et sur la guerre. On pouvait observer, il est vrai, qu’au moment où la session finissait, les hostilités étaient déjà commencées ; que la question, telle qu’elle est encore engagée aujourd’hui, avait été soumise au parlement dans sa dernière séance ; que le parlement avait délibéré ; que des circonstances nouvelles, comme une déclaration formelle de guerre, pouvaient seules motiver le rappel immédiat des chambres. L’extrême gauche, avec ses scrupules bien connus de légalité constitutionnelle, ne s’est pas tenue pour satisfaite de ces raisons. Elle s’est réunie en conciliabule, et, si elle n’était pas très nombreuse, elle avait en compensation M. Barodet pour présider les quelques fidèles demeu-