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cours. D’un autre côté, au contraire, le chancelier de Berlin a montré depuis quelque temps une bonne volonté un peu inattendue pour la France. Il a visiblement appuyé les propositions de notre diplomatie à la conférence de Londres ; il n’est pas ou il ne paraît pas hostile au gouvernement français dans les affaires de Chine. Il y a un changement sensible auquel notre cabinet s’est évidemment prêté, et la dernière visite de notre ambassadeur à Varzin se rattache sans doute à cette situation nouvelle.

Est-ce à dire que les nouvellistes qui savent tout et qui devinent le reste aient quelque raison quand ils voient dans ces incidens le prélude de tout un système, le commencement d’une alliance de l’Allemagne avec la France, d’une rupture avec l’Angleterre ? On n’en est certainement pas encore là. Il peut y avoir des déplacemens momentanés dans les relations, des rapprochemens de circonstance. Ce serait se méprendre étrangement que de se livrer à de profonds et chimériques calculs sur une reconstitution des alliances européennes. Sans calomnier un aussi grand personnage que le chancelier de Berlin, on peut bien croire qu’un homme comme lui, qui sait ce qu’il veut, qui ne met pas d’illusions dans sa politique, n’agit comme il le fait que parce qu’il trouve sa sûreté et son intérêt à nous encourager en Chine, à nous séparer de l’Angleterre dans les affaires d’Égypte. Il se montre bonhomme avec la France parce qu’il la juge suffisamment occupée, parce qu’il ne s’inquiète plus de ses projets en Europe, de ses arrière-pensées de revanche. La France, qui, de son côté, n’a d’autre politique que la paix sur le continent, n’a certes aucune raison de se refuser à entretenir avec l’Allemagne de bonnes relations qui sont une garantie de plus ; notre gouvernement n’est pas sans doute assez naïf pour aller au-delà dans ses conjectures, pour attendre d’autres résultats des faveurs passagères du chancelier allemand. Quant aux mésintelligences de M. de Bismarck avec l’Angleterre, il ne faut probablement pas trop s’y fier. M. de Bismarck est peut-être un peu animé contre les Anglais et, s’il le pouvait, il serait sûrement homme à ne pas laisser passer l’occasion de leur susciter quelque embarras ou quelque déboire. Au fond, ce n’est là selon toute apparence qu’une brouille d’un moment qui n’ira pas jusqu’à altérer profondément les rapports des deux pays, surtout jusqu’à produire de ces complications surprenantes, dramatiques, que les imaginations échauffées se plaisent à rêver.

« L’Angleterre est en sécurité dans son lie, disait tout récemment M. Gladstone ; elle n’est tenue de s’incliner devant personne, et nous sommes beaucoup plus indépendans des puissances grandes ou petites du continent de l’Europe que ces puissances ne le sont l’une de l’autre, » L’Angleterre est effectivement en sûreté dans son île sans être pour cela à l’abri des difficultés, des épreuves, et elle a pour le moment d’assez graves affaires qui l’occupent à l’extérieur comme à l’intérieur.