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latine et française. « Nérac, petit Nérac, disait en patois la nymphe gasconne, tu renfermes en tes murs ce que le monde a jamais procréé de plus beau. » Et, s’adressant à Marguerite : « Sois la bienvenue, un seul de tes regards dissipe tous les nuages. »

Contre toute attente, Marguerite prit une part active à la conférence, mais dans un sens tout opposé à celui que Catherine attendait d’elle : elle rechercha tous les moyens de se faire bien voir du roi son mari et de favoriser de son mieux ses affaires, et elle se servit dans ce dessein de son influence sur Pibrac. Ce pauvre amoureux, qui lui prêtait de l’argent et s’endettait pour elle, manœuvra si habilement que, grâce à la lassitude de Catherine impatiente d’en finir, les protestans obtinrent des conditions plus favorables qu’ils n’osaient se le promettre. Enfin, le 28 février, Catherine put écrire au maréchal Damville : « Nous avons terminé cette belle conférence qui m’a donné tant de peine. »

De Nérac, Catherine revient à Agen, d’où elle écrivait à la duchesse d’Uzès : « Je m’en vais à Castelnaudary ; je vous assure qu’il n’y fait pas plus plaisant que quand vous partîtes. Les oiseaux ne volent plus, car la saison est fort avancée. Déjà les fèves sont en fleurs, les amandes dures, les cerises grosses ; nous sommes à l’été. Le roi de Navarre et sa femme sont ici ; nous avons eu une grande bourrasque de la querelle du vicomte de Turenne et de Duras et une seconde Réole, mais, Dieu merci ! cela n’a pas rompu ce que avec la peine et le travail que savez j’ai fait. » Marguerite vint seule à Castelnaudary faire ses adieux à sa mère. La séparation fut triste : « Je dis hier matin adieux à ma fille, écrit Catherine à la duchesse d’Uzès, laquelle me fit grand pitié ; mais quand je pensois qu’il y avoit neuf mois et demi que je n’avois vu le roi mon fils, je vous assure que cela m’aidoit à me réconforter de penser que dans un mois j’aurois ce bien. Je l’ai laissée extrêmement bien avec son mari. »

Dayelle ayant suivi la reine, le roi se prit à rechercher la jeune Le Rebours, une malicieuse fille qui ne fut pas longtemps cruelle, et dont Marguerite n’eut guère à se louer. Ce ne fut pas néanmoins à cause de cette nouvelle maîtresse qu’un premier dissentiment s’éleva entre les deux époux, mais au sujet d’un secrétaire du roi nommé « Le Pin, qui manioit toutes les affaires de la religion. » Un dimanche, à Pau, quelques catholiques s’étant furtivement glissés dans la chapelle que la reine s’était réservée, Le Pin les fit arrêter au sortir de la messe. Marguerite exigea leur mise en liberté et le renvoi de Le Pin. Dans cette lutte, où elle eut le dessus, elle s’imagina que Pibrac, devenu son chancelier, avait joué un double rôle, l’excitant à demander le renvoi de Le Pin, et sous