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ayant trop à se faire pardonner, il fit semblant de ne pas y croire. Toujours est-il qu’il mit sous les yeux de Turenne et de sa femme la lettre de Henri III. Marguerite en fut mortellement offensée. D’ailleurs, elle avait un nouveau motif de haine contre Henri III : il venait lâchement de livrer le brave Bussy à la vengeance de Montsoreau. Elle se servit tout à la fois de Fosseuse, qui n’en était encore qu’aux préliminaires avec le roi, et d’une femme de chambre nommée Xaintes, avec laquelle, en attendant, le vert-galant se familiarisait. Par l’entremise de cette dernière, elle lui fit lire toutes les lettres venues de Paris où on répétait les plaisanteries que Henri III se permettait sur lui, au grand amusement de la cour. Agen et Cahors faisaient partie du douaire de Marguerite ; on les retenait contre toute justice ; elle encouragea son mari à les reprendre. Toutes les maîtresses de ceux qui avaient quelque influence au conseil s’intéressant à sa cause, elle finit par arracher une déclaration de guerre qui, à bon droit, fut appelée la guerre des amoureux. La prise de Cahors, où, quatre jours durant, le roi de Navarre se battit dans les rues en soldat et se révéla comme grand capitaine, inaugura brillamment cette première campagne ; mais ce glorieux fait d’armes ne pouvait suppléer à l’insuffisance des ressources. Biron, très supérieur en forces, après avoir pris Mont-de-Marsan et d’autres places non moins importantes, vint insolemment canonner Nérac, où s’était enfermée Marguerite.

Il était grand temps qu’elle tirât le roi son mari du mauvais pas où elle l’avait embarqué. « Je vous supplie, écrivit-elle à Mme d’Uzès, de faire souvenir à ma mère ce que je lui suis et qu’elle ne veuille pas me rendre si misérable, moi qu’elle a mise au monde, que j’y demeure privée de sa bonne grâce et protection. » Elle implora alors la médiation de son frère le duc d’Alençon. Il accéda volontiers au désir de sa sœur et partit pour la Guyenne avec plein pouvoir de traiter. Il emmenait le beau Chanvalon, dont le souvenir, depuis le séjour à La Fère, était resté au cœur de Marguerite. Elle approchait de ses trente ans, l’âge décisif dans la vie de bien des femmes, l’heure où les sens, longtemps endormis ou sévèrement contenus, deviennent plus exigeans. L’historien Dupleix, qui ne perdit jamais Marguerite des yeux, a dit d’elle : « Elle étoit autant recherchée d’amours que son mari étoit recherché des femmes ; mais dans ses amours il y avoit plus d’art et d’apparence que d’effet. Elle aimoit à se faire appeler la Vénus Uranie, comme pour distinguer son amour de celui du vulgaire, affectant qu’il étoit plus pratiqué de l’esprit que du corps, et elle avoit souvent ce mot à la bouche : « Voulez-vous cesser d’aimer, possédez la chose aimée. » Ce que dit Dupleix doit être vrai de