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ces lettres suffisent pour donner l’impression fidèle, nous le croyons, des rapports qui ont existé entre les deux époux. Il ne faut s’y attendre à rien qui ressemble à de l’amour. Un homme d’un âge mûr, et deux fois veuf, avec de grandes filles, n’était pas précisément un héros de roman et n’avait rien qui pût parler bien vivement à l’imagination d’une jeune femme belle et brillante. D’ailleurs, Mme de Grignan ne paraît pas avoir eu plus que sa mère l’âme tournée à la passion de l’amour. Le dérivatif que Mme de Sévigné trouvait dans l’amour maternel, Mme de Grignan le rencontra dans l’amour du pouvoir et des grandeurs. Mais, à défaut de passion, on découvre, dans les quelques lettres que nous possédons, un ton d’amitié et même de cordialité vive et franche qui rassure et qui satisfait. C’était, après tout, un bon ménage. « Je vous embrasse de tout mon cœur, mon cher comte ; je suis à vous avec toute la tendresse possible. Je vous conjure d’en être bien persuadé et de ne point changer l’opinion que vous avez d’avoir à vous une si jolie personne. Je voudrais être aussi jolie comme il est sûr que je suis à vous. » Elle plaisantait agréablement sur leurs galanteries réciproques : « Je sais que vous avez le meilleur goût du monde et que vous verrez d’aussi jolies femmes que je verrai de jolis hommes ; nous aurons là, le soir, de jolies relations à faire de nos journées. » En réponse sans doute à quelques légèretés conjugales, elle répondait sans trop de façons : « Vous m’avez mandé mille folies que j’écoute sans y vouloir répondre présentement. Vous pouvez penser que je prendrai mieux mon temps, afin de ne scandaliser personne. » Même de loin, Mme de Grignan conservait le gouvernement de la maison ; on devine la femme de tête et d’autorité à un ton de commandement qui s’impose même au mari : « Il est vrai que votre maison n’a jamais été mieux réglée. Témoignez à vos gens que vous en êtes content et que vous voulez qu’ils continuent. N’augmentez point les appointemens d’Anfossi (l’intendant). Laissez-moi le soin des gratifications ; il sera content et vous n’y perdrez rien. Je suis fort satisfaite de ce garçon-là. J’ai fait écrire Bonrepos pour la réponse du palais et pour le franc-salé. Je pense que vous devez être satisfait sur l’une et sur l’autre affaire. Je ne vous mènerai donc point de maître d’hôtel : vous êtes content de tout ; c’est assez. » Quelques récits de cour, quelques bavardages bien tournés, voilà ce que l’on trouve encore dans les lettres de Mme de Grignan à son mari.

Il est curieux de comparer les lettres de Mme de Grignan à sa fille avec celles que sa mère lui écrivait à elle-même ; mais elles sont trop peu nombreuses pour pouvoir donner des résultats bien rigoureux. Cependant quelle différence de ton ! Que nous sommes loin