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propre sécurité dans la mésintelligence des deux grandes nations de l’Occident, ceux-là sont dans leur rôle en semant les défiances et les divisions, en se servant de tout pour exciter tour à tour l’Angleterre contre la France et la France contre l’Angleterre ; ils arrivent du moins à ce résultat d’isoler successivement ou alternativement chacune des deux nations. C’est une politique qui ne manque ni de dextérité ni de profondeur ; mais nous nous demandons ce que veulent, ce que se proposent ceux qui, sans avoir les mêmes intérêts, les mêmes intentions, se prêtent des deux côtés du détroit, à Londres comme à Paris, à ce jeu redoutable, et travaillent à envenimer tous les incidens qui peuvent surgir entre les deux pays. C’est pourtant ce qui se passe tous les jours sous nos yeux. Depuis quelque temps déjà, en effet, nous assistons à ce singulier spectacle. A Londres, tout au moins dans certaines régions de la presse anglaise, on dirait qu’il y a un système organisé d’excitation, une préméditation d’acrimonie et d’hostilité contre la France. Il y a des journaux anglais qui passent leur temps à chercher partout des prétextes de déclamation contre notre pays. Tout ce que la France peut tenter pour sauvegarder ses intérêts et sa dignité dans le monde, en Chine comme ailleurs, est dénaturé et interprété avec des sentimens de colère ou de malveillance. La conduite de nos soldats, de nos marins est diffamée, et ce sont ceux qui ont approuvé, qui approuveraient encore les rigueurs inutiles du bombardement d’Alexandrie en pleine paix, ce sont ceux-là qui n’ont pas assez de récriminations contre le bombardement de Fou-Tchéou. Si la France défend comme elle le doit les nombreux et puissans intérêts qu’elle a en Égypte, c’est qu’elle inédite manifestement de supplanter l’Angleterre et qu’elle n’attend qu’une occasion pour envoyer une armée à la place de l’armée anglaise dans la vallée du Nil. Et, d’un autre côté, il est malheureusement vrai qu’il y a aussi souvent en France toute sorte de déclamations contre l’Angleterre. Il y a des journaux, peut-être même des politiques de parlement, qui, oubliant tout ce qui s’est passé, la retraite de la France, nos refus d’intervention ou de concours, ne peuvent admettre que l’Angleterre ait des droits privilégiés, non pas sans doute le droit de se mettre au-dessus des lois internationales, mais une certaine prépondérance sur les bords du Nil. Ils se font un plaisir de réveiller tous les ressentimens, tous les vieux préjugés contre l’alliance anglaise, et au besoin, sans craindre de fausser toutes nos relations, ils se feraient les auxiliaires de M. de Bismarck dans une croisade contre la puissance britannique.

Eh bien ! c’est là ce que nous appellerons une mauvaise politique des deux côtés, un dangereux système de polémiques qui ne répond ni aux intérêts ni aux vrais sentimens des deux pays. Qu’il y ait parfois des questions, des incidens sur lesquels la France et l’Angleterre peuvent être en désaccord, que la France sauvegarde ses droits en Égypte aussi