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d’autre ressource que de combattre la loi et de protester en faisant appel à des élections futures. Leur erreur a été de sortir de ce rôle d’une opposition régulière pour se laisser entraîner dans une agitation mal définie en suscitant des manifestations qui étaient sans doute parfaitement légales, qui peuvent être dans les mœurs belges, mais qui n’étaient pas moins un danger au milieu des excitations des esprits. Ce qu’il y a eu de plus extraordinaire et de plus irrégulier encore, c’était cette démarche tentée par les bourgmestres libéraux au palais pour demander au roi de refuser sa sanction à la nouvelle loi scolaire. Quelle position faisait-on au roi ? On lui demandait de sortir de son rôle correct de souverain constitutionnel, de désavouer les électeurs et le parlement, de faire une sorte de petit coup d’état au profit des vaincus du scrutin. Léopold II s’est sagement refusé au rôle qu’on lui proposait : de sorte que, dans tout cela, c’est le roi qui a donné l’exemple du respect des libertés parlementaires, ce sont les libéraux qui, dans un intérêt de parti, n’ont pas craint de provoquer le souverain à l’acte le plus extraordinaire de gouvernement personnel, à la violation des garanties constitutionnelles. Les libéraux étaient tout simplement des révolutionnaires.

Une fois le signal donné, la crise n’a pas tardé à s’aggraver, et alors ont commencé ces scènes d’agitation qui ont ému la ville de Bruxelles pendant quelques soirées de la dernière semaine. Aux manifestations libérales ont succédé bientôt des manifestations d’une tout autre nature. Ce n’est plus maintenant contre les catholiques et contre le vote du parlement que se sont élevés les nouveaux manifestans ; ce sont les institutions qui ont été mises en cause, c’est la royauté elle-même qui a été signalée comme la grande ennemie, et le drapeau de la république a fait son apparition dans les rues de Bruxelles. Ce n’était point là assurément ce que voulaient les libéraux, qui se sont hâtés de désavouer ces étranges auxiliaires : le bourgmestre de Bruxelles s’est fait aussitôt un devoir de publier une proclamation déclarant que la loi scolaire ayant été promulguée, il ne restait plus qu’à se soumettre à la loi. On est resté dans la stricte légalité, soit ; mieux aurait valu sans doute n’avoir jamais eu l’air d’en sortir, et la moralité de ces récentes agitations belges, c’est qu’après tout la meilleure manière de servir la cause libérale est toujours de la dégager de toutes les solidarités révolutionnaires.


CH. DE MAZADE.