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Le chien qui dort devant ton foyer use de la vie mieux que toi. Debout ! morte ! sans bonheur ! Debout ! et reconstruis ta destinée si tu en es capable ! Debout ! au nom de Dieu, au nom de ce Dieu, qui, en te jetant ici-bas, te destinait à d’autres fins que d’errer çà et là en portant les flammes de l’enfer dans un cœur sans crime et de souffrir en silence pour mourir sans avoir vécu ! ……… »

«… Très chère amie, êtes-vous bien sûre de vous être formé une idée juste de moi et de ma situation ? Je suis un homme qui a passé sept années dans des tortures incessantes, dont la tête et le cœur sont également dévastés et assombris et qui ne voit d’autre issue à cet état qu’un changement complet de direction. Je ne dois ni ne puis continuer ce genre de vie ; ma patience est à bout. Sans aucune exagération, il vaudrait mieux pour moi être mort que rester dans un pareil état. Jusqu’à ce que ce changement ait eu lieu, je ne puis tirer un parti régulier et convenable des facultés que je puis posséder. » Il poursuivait en reprochant éloquemment à Mlle Welsh de ne pas oser se placer au-dessus de la prudence vulgaire. La réponse fut franche : « Je crains, lui dit Jane, de n’être prudente que parce que je n’éprouve pas une forte tentation de ne pas l’être. Mon cœur est capable, je le sens, d’un amour pour lequel aucune privation ne serait un sacrifice, d’un amour qui ferait bon marché de l’opinion et de la raison et qui emporterait impétueusement avec lui toutes les pensées de mon être. Mais… je vous ai déjà expliqué la nature de mon affection pour vous. »

Mme Welsh offrit alors aux jeunes gens de vivre chez elle. Carlyle refusa et fit en ces termes sa profession de foi à sa fiancée : « L’homme doit commander dans la maison, et non la femme. C’est un axiome éternel, c’est la loi de la nature, dont aucun mortel ne s’écarte sans être puni. J’ai médité sur cette loi pendant bien des années, et elle devient chaque jour plus évidente à mes yeux. Je ne dois pas et je ne veux pas vivre dans une maison où je ne serai pas le maître. » Mme Welsh ne lui paraissait pas d’un caractère soumis, et il entendait la tenir à l’écart. Il proposa d’aller s’établir chez ses parens à lui. Sa mère et ses sœurs soignaient la basse-cour et faisaient la cuisine, sa femme les aiderait ; quoi de plus naturel ? Les vieux Carlyle lui expliquèrent que ce n’était pas la même chose, et le plan fut abandonné.

De guerre lasse, on s’en remit à la grâce de Dieu, et le mariage fut fixé au 17 octobre 1826. Carlyle a dépeint son état pendant les dernières semaines d’attente : « En proie au spleen, malade, ne dormant pas, vide de foi, d’espoir et de charité, — en un mot, mauvais et méprisable. » Les difficultés qui surgissaient à l’approche de la cérémonie avaient rendu ses nerfs malades. L’idée de se