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un décret de la volonté divine. Peu s’en fallait que l’hygiène ne leur parût une précaution impie, la médecine, une rébellion contre la Providence. Nulle preuve ne peut en donner une idée plus saisissante que l’état des campagnes bretonnes lors de l’invasion du choléra en 1834. Bien de plus commun alors que l’abandon de soi-même et des autres. On refusait de prendre aucune mesure. Dans beaucoup de villages, on ne voulait pas écouter les ordonnances qui prescrivaient l’ensevelissement des morts à une certaine distance et à une certaine profondeur ; on allait jusqu’à méconnaître l’autorité des recteurs, qui s’étaient mis du côté du bon sens et de la loi. Voilà ce qui n’est plus, Dieu merci ! et on le verra bien, si par malheur le fléau sévit encore dans la province. On prévoit, on conjure le mal avec beaucoup moins d’incurie. Les communes font une part notablement plus grande aux travaux d’assainissement et d’utilité publique. L’homme s’aide lui-même sans cesser pourtant de compter sur l’assistance divine. On peut penser que le véritable esprit de religion n’y perd pas, et il est certain que, la science et le progrès cessant d’être mis en interdit, la Bretagne est entrée par là dans les conditions de la vie et de la civilisation modernes.

Je ferai une remarque analogue pour le culte de la mort, naguère trop matériel. Il allait à faire des cimetières de véritables charniers, des églises des lieux d’exposition de hideux ossemens. Nous avons pu juger par nous-même que, depuis quelques années, ces spectacles sont beaucoup plus rares. Comparez, par exemple, à ce point de vue, ce qu’était Saint-Pol-de-Léon il y a vingt ans et ce qu’il est aujourd’hui. Les tombes aimées n’en sont pas l’objet de pèlerinages moins fréquens et moins touchans. Faudra-t-il aussi voir un signe d’affaiblissement religieux dans ce soin de cacher aux yeux ces restes périssables et répugnans qui produisent beaucoup plus, à notre sens, l’impression du néant, qu’ils n’inspirent l’idée d’une existence future ? Les Bretons de nos jours ne perdront rien, croyons-nous, à se souvenir qu’une religion moins sombre aimait, au moyen âge, à placer dans les cercueils des fleurs et de verts feuillages, à sculpter sur les tombeaux, avec les emblèmes de la foi et de l’espérance, les simulacres qui rappelaient la vie des trépassés. Ces gracieuses images qui peuvent accompagner la solennité de la mort se retrouvent dans plus d’une légende bretonne. Il en est une où, la jeune épousée venant d’être déposée dans la même tombe que son mari, la nuit suivante deux chênes s’élèvent de leur tombe nouvelle, et, sur leurs branches, deux colombes blanches viennent se poser : « Elles chantèrent là au lever de l’aurore et prirent leur volée vers les cieux ! »

Le jeune paysan breton était autrefois sujet, d’une manière à peine croyable, à une nostalgie qui le minait et dont on cite de