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abord. Il semble que les habitudes de moralité dans la jeunesse devraient rendre le célibat rare et les mariages précoces. Cette double supposition est démentie par les faits. Le nombre des célibataires est très considérable en Bretagne. Un habile statisticien, M. Loua, a établi qu’il l’est beaucoup plus qu’en Normandie, où l’on pourrait supposer avec vraisemblance que la crainte d’avoir charge d’enfans le rend plus fréquent. En réalité, on compte en Normandie 198 mariés contre 100 célibataires, tandis qu’en Bretagne on ne compte que 132 mariés pour le même nombre de célibataires. Le mariage moins fréquent est aussi plus tardif. Il l’est à un degré exceptionnel dans presque toute la Bretagne. Après les départemens méridionaux des Hautes et Basses-Pyrénées, le département où les hommes se marient le plus tard est celui d’Ille-et-Vilaine ; ils ne contractent mariage en moyenne qu’à l’âge de trente-quatre ans. Pour les femmes, les deux départemens où elles se marient le plus tardivement sont, avec les Basses-Pyrénées, l’Ille-et-Vilaine et les Côtes-du-Nord, où elles ne contractent mariage qu’à vingt-neuf ans en moyenne. Il résulte aussi que le mariage, plus tardif, dure en conséquence moins en Bretagne qu’en Normandie, où il est, en durée moyenne, de vingt-sept ans et demi, tandis qu’il n’est que de vingt et un en Bretagne. Disons-le en passant : on oppose la prévoyance normande à l’imprévoyance bretonne ; cela n’est pas tout à fait exact. La famille rurale, en Normandie, abuse de la prévoyance après le mariage ; la famille rurale en Bretagne prend soin d’en user avant par la constitution d’une économie, l’achat ou la location d’une petite terre.

La fécondité de ces ménages tardifs est frappante et augmente la population par des naissances qui ne laissent, comme je l’ai remarqué, aux enfans nés hors de la famille qu’une très petite place. Il nous suffira de dire que, d’après les chiffres publiés par M. Loua, la période 1874-1878 présente en Bretagne 88,165 enfans légitimes et 2,903 naturels. Encore une fois, les villes maritimes sont comprises dans ce chiffre. Dans les mariages, la fécondité de la femme bretonne de quinze à quarante-cinq ans est par rapport à celle de la femme normande presque comme 100 est à 60. Aussi, l’accroissement de population des quatre départemens bretons (celui des Côtes-du-Nord fait seul exception depuis quelques années par des causes spéciales) est-il constant. Dans un intervalle de cinq années (1876-1881) il est de 57,972. Or la Bretagne, de 1856 à 1876, avait déjà gagné 180,369 habitans ; ce qui en portait le chiffre total à 3,020,000 individus, près d’un demi-million de plus que la Normandie, constituée en perte de 133,142 habitans, pour la plus grande partie par l’excédent des naissances sur les décès.