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un petit chien de la princesse de Tarente, et elle avait un moment négligé sa chienne Marphise pour le nouveau-venu. Mme de Grignan en plaisante avec sa mère et l’accuse d’avoir fait la coquette : « Ce que vous me dites sur Fidèle est fort plaisant et fort joli : c’est la vraie conduite d’une coquette que celle que j’ai elle. » Un trait plus vif et plus osé était la comparaison des confesseurs et des amans : « Vous avez trouvé fort plaisamment d’où vient l’attachement qu’on a pour les confesseurs : c’est justement la raison qu’on a pour parler dix ans avec un amant, car, avec ces premiers, on est comme Mlle d’Aumale, on aime mieux dire du mal de soi que de n’en pas parler. »

Voici encore un résumé de lettre qui fait bien regretter l’original : « Ne vous retenez point quand votre plume veut parler de la Provence ; ce sont mes affaires ; mais ne la retenez en rien quand elle a la bride sur le cou ; elle est comme l’Arioste : on aime ce qui finit et ce qui commence ; le sujet que vous prenez console de celui que vous quittez et tout est agréable. Celui du froc aux orties que l’on jette tout doucement pour plaire à Sa Sainteté et le reste est une chose à mourir de rire ; .. je ne crois pas qu’il y ait rien au monde de plus plaisant : vous êtes plus gaie dans vos lettres que vous ne l’êtes ailleurs. » Mme de Grignan se plaignait d’être toujours accablée de société. Elle s’étonnait qu’on ne comprit point « qu’elle pût souhaiter d’être séparée de cette bonne compagnie. » Elle avait « soif d’être seule. » Elle racontait l’histoire d’une vieille veuve qui épousait un jeune homme ; sur quoi Mme de Sévigné répliquait : « C’est un grand bonheur de ne pas être coiffée de ces oisons-là : il vaut mieux les envoyer paître que de les y mener. »

Le 17 janvier 1676, Mme de Sévigné est atteinte de ce rhumatisme dont elle eut tant à souffrir pendant une année. Grâce aux distances, ce n’est que dans sa lettre du 9 février que Mme de Grignan annonce qu’elle a reçu la nouvelle et exprime ses inquiétudes. Représentons-nous cet effet cruel des distances, que nous ne connaissons plus. En quelques heures, on communiquerait aujourd’hui, par le télégraphe, des Rochers à Grignan ; en deux jours, Mme de Grignan serait venue retrouver sa mère. Mais alors les lettres elles-mêmes ne pouvaient donner aucune sécurité ; car, tandis qu’elles faisaient le chemin, la maladie pouvait s’aggraver et prendre une terminaison fatale ; et réciproquement on souffrait et on s’affligeait quand la maladie était guérie. Rappelons-nous ces douloureuses épreuves dont souffraient nos pères quand nous sommes tentés, par un raffinement esthétique, de mépriser les progrès matériels de notre temps, et disons-nous que ces progrès sont aussi des progrès moraux, des progrès pour le cœur. Cependant, la