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religieuse. Mme de Sévigné en avait « le cœur serré. » Mme de Grignan parait avoir eu plus de courage, quoiqu’elle-même ne craignît pas d’appeler le couvent « une prison. » L’enfant avait dissimulé « sa petite douleur. » La mère en avait probablement fait autant : « Vous avez un courage qui vous sert toujours dans les occasions. » L’enfant s’habitua assez vite à cette séparation ; car Mme de Sévigné écrit avec une admiration qui n’est pas sans quelque nuance de critique : « L’inhumanité que vous donnez à vos enfans est la chose la plus commode du monde. Voilà, Dieu merci, la petite qui ne songe plus ni à père ni à mère. » Tandis que l’aînée des filles, Marie-Blanche, était au couvent, la plus jeune, Pauline (plus tard Mme de Simiane), était restée auprès de sa mère : c’était sur elle seulement que le sentiment maternel de Mme de Grignan trouvait à se répandre : elle s’en amusait. « Pauline me paraît digne d’être votre jouet. » Elle trouvait en elle sa ressemblance, sauf « un petit nez carré » qui lui venait de sa grand’mère. « Je trouve plaisant que les nez des Grignan n’aient voulu permettre que celui-là, et n’aient pas voulu entendre parler du vôtre. »

Au milieu de ces conversations de famille, la moraliste et la philosophe ne faisaient jamais défaut chez Mme de Grignan, et Mme de Sévigné admirait sa philosophie : « Les réflexions que vous faites sur les sacrifices que l’on fait à la raison sont fort justes et fort à propos dans l’état où nous sommes ; il est bien vrai que le seul amour de Dieu peut nous rendre heureux en ce monde et en l’autre. Il y a très longtemps qu’on le dit ; mais vous y avez donné un tour qui m’a frappée. » La mort du maréchal de Rochefort, qui meurt à quarante ans au milieu des honneurs qu’il a désirés, suggérait à Mme de Grignan des réflexions philosophiques sur « la liberté que prend la mort d’interrompre la fortune. » Elle demandait à sa mère « si elle était dévote. » Elle-même était lasse, « non de la dévotion, mais de n’en point avoir. » A propos de M. de Rochefort, elle faisait remarquer « qu’il avait seulement oublié de souhaiter de ne pas mourir si tôt. » Elle n’aimait pas l’expression de Nicole, le moi. Elle trouvait avec Chapelain « une nuance de ridiculité dans cette expression. » Qu’eût-elle dit de l’usage que nous en faisons aujourd’hui ? Elle parlait « des ridicules qui venaient des défauts de l’âme, » et Mme de Sévigné n’entendait pas très bien ces paroles, mais elle les expliquait en disant qu’il « faut mettre au premier rang du bon ou du mauvais tout ce qui vient de ce côté-là ; les sentimens du cœur me paraissent seuls dignes de considération. » La mort et la confession de la Brinvilliers étaient aussi un sujet de réflexions sérieuses exprimées sous une forme plaisante. Mme de Grignan ne voulait pas croire qu’elle pût aller en paradis : « Je crois que vous