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et qui a fourni toujours, depuis 1825, un courant constant d’émigration solidaire, agissant avec ensemble, s’aidant réciproquement et se distinguant par l’usage perpétué d’une langue spéciale, est le pays basque. L’émigration basque de La Plata a une notoriété spéciale ; on croit même qu’elle a toujours constitué sinon le seul, au moins le plus important des élémens de la colonie française. Cela n’est pas exact. S’il est vrai que des villages nombreux ont envoyé dans ces contrées la majeure partie de, leurs habitans, ce pays pauvre s’en est si bien enrichi que cette source d’émigration est à peu près tarie et que l’émigration basque de La Plata ne se recrute plus guère que sur le versant espagnol des Pyrénées. Malgré cet arrêt du courant d’immigration, la population basque garde son importance ; il n’en est pas de plus honorée, il n’en est pas qui mérite plus de l’être si l’on examine ce qu’elle a fait et créé, le degré de richesse où elle est parvenue et les commencemens pénibles qu’elle a eus. Ce n’était certes pas trop de toutes les énergies de cette race, noble entre toutes, pour surmonter les rudes épreuves de la fondation de villages, dont le premier fut le Tandil, créé par elle dans la pampa, à l’époque barbare de 1826, à cent lieues de Buenos-Ayres, dans les replis d’une sierra isolée et de peu d’importance, qui n’avait d’autre raison d’être désignée comme le centre d’une création de ce genre que l’abri qu’elle offrait contre les incursions des Indiens. Ils peuvent avec orgueil regarder le chemin parcouru depuis le jour où pour eux, nouveaux débarqués, tout était surprise et sans doute déception dans ce pays de plaines.

Après cinquante ou quelquefois cent jours de mer, il leur avait fallu entreprendre un nouveau voyage au long cours dans cette pampa si pareille à l’océan. Sur les confins de la ville, au milieu d’une esplanade qui, aujourd’hui encore, après plus d’un demi-siècle, reçoit les mêmes hôtes, étaient rangées les grandes charrettes pampéennes, longues et hautes, perchées sur des roues de 2 mètres, bariolées de couleurs éclatantes, couvertes de toitures solides ; six paires de bœufs sont souvent impuissantes à les tirer d’un mauvais pas ; mais sur la route unie, soutenues par un prodige d’équilibre, elles roulent, quelque chargées qu’elles soient, sans que les bœufs semblent en prendre souci, somnolons au milieu des flots de poussière qu’ils soulèvent. C’était dans ces frégates terrestres qu’il fallait entreprendre ce long voyage ; tout autre moyen de transport était inconnu. La vue du paysage n’était guère pour reposer des rudes secousses que le voyageur avait à supporter ; on n’y distinguait ni arbres ni habitations ; le passage des rivières n’apportait à cette monotonie quelque