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que ces qualités-là sont partout un sérieux élément de succès : beaucoup s’élèvent souvent au-dessus de la condition de leur père, qui leur a rendu la tâche plus facile qu’il ne l’a elle lui-même au milieu des difficultés de la transplantation ; nous en trouvons partout dans les fonctions les plus élevées de la politique, dans les assemblées législatives, dans la magistrature, le barreau, la médecine et toutes les sciences appliquées.

Ceux-là n’ont qu’un tort à nos yeux, c’est d’ignorer le principe français qui rattache le fils né à l’étranger à la patrie du père, et nous ne pouvons nous dissimuler ce que ce détachement général des fils de Français de la patrie de leur père a de grave. Est-ce donc un fait social ignoré que le Français veut être administré ? Même le plus américanisé de tous aime sentir à ses côtés l’ange tutélaire de l’administration : il le veut invisible et présent, il lui rappelle la patrie. Les consuls, qui sans doute comprennent cela, quand ils parlent de leurs compatriotes, disent volontiers : « Mes administrés. » Croira-t-on que cette qualification en contradiction absolue avec le caractère des consuls choque ceux à qui elle s’adresse ? Pas le moins du monde ; et même dans leur langage de convention ils baptisent en bloc ministre résident, consul, officiers de la station, de ce titre générique : « les autorités. » Cela ne déplaît ni aux uns ni aux autres, mais cela ne constitue pas un lien administratif suffisant.

Si cet attachement puissant des fils de Français au pays étranger qui les a vus naître a cet avantage théorique de démontrer à l’excès que les Français sont les meilleurs des colons, même de trop bons colonisateurs, il démontre d’une façon aussi certaine que nos entreprises individuelles, isolées, de colonisation font payer cher à la mère patrie l’abandon où elle les laisse. La loi française a beau être la plus vigilante, la plus soucieuse du sort de ses enfans, ses principes ont beau être très énergiquement accentués, elle a beau retenir au passage le fils de Français qui veut échapper aux étreintes de sa maternité, elle est, dans la pratique, impuissante à les retenir. Ce résultat, contraire aux principes, découle du manque de prévoyance et d’organisation administrative et de surveillance administrative des intérêts français en pays étranger. Les colonies ont beau raisonner, discuter, prendre l’initiative de groupemens, d’associations, emplir leurs journaux spéciaux de brillans aperçus sur toutes les questions qui les intéressent autant que la mère patrie, tenter des efforts de tous genres, aucun écho ne parvient là où il devrait résonner. Le seul lien sérieux qui existe est celui du service militaire imposé au fils de Français né et résidant à l’étranger, sans considération aucune pour le surcroît de charge qu’on lui inflige ainsi ;