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Corneille et cette chétive Anna ; d’autre part, de faire remarquer que, dans les Danicheff, aussitôt que le drame paraît commencer véritablement, au troisième acte, il avorte. Mais le deuxième, en ses épisodes, est sillonné des feux d’artifice habituels à M. Dumas, et le premier forme un prologue taillé de main d’ouvrier. C’est dans ce premier que s’établit le caractère de la comtesse Danicheff, le seul de l’ouvrage et qui se dissipe ensuite : tout ce tableau d’intérieur, tout ce fond moscovite où la grande dame en cheveux blancs se fait lire Faublas par une jeune fille, est peint de couleurs originales et composé fortement.

Pour cette partie seule, M. Duquesnel, survenu entre le directeur de l’Odéon et du Gymnase, aurait bien fait d’acquérir les Danicheff à la Porte-Saint-Martin, et aussi pour nous donner l’occasion d’admirer Mme Pasca. Elle est merveilleuse, en vérité, dans le rôle de la comtesse Danicheff, merveilleuse de figure, et de costume et de jeu ; autant que le permet l’ordre de l’ouvrage, qui n’est qu’une pièce de facture, elle s’y manifeste grande comédienne et grande dame. Soutenue par les traditions d’une scène illustre, que ferait-elle dans un de ces drames que M. Dumas peut avouer véritablement pour siens ? Il appartient à ce puissant introducteur de nous le montrer bientôt : si ce n’est à sa prochaine entreprise, nous souhaitons que ce soit à la seconde. Non que Mme Pasca soit mal entourée à la Porte-Saint-Martin : M. Marais, un peu emphatique dans le reste, joue excellemment la scène capitale qui finit le second acte ; on ne peut rêver un Osip qui soit préférable à M. Volny ; Mlle Magnier, Mlle Malvau, M. Colombey, M. Léon Noël, forment une bonne troupe. La mise en scène de toute la pièce, et particulièrement du premier acte, sans indiscrétion, est fort belle.

Dans un pareil théâtre, avec de telles ressources, M. Duquesnel peut rendre aux lettres contemporaines d’éclatans services. Nous ne prétendons pas que la Comédie-Française lui en cède l’honneur, et nous permettons que sur ce terrain elle lutte avec lui ; nous demandons seulement aujourd’hui, à l’abri du grand nom de Corneille, qu’elle ne laisse pas en friche ni couvert d’épis artificiels et de fleurs en papier le vieux champ classique.


Louis GANDERAX.