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dans le cours de 1882 et pendant le premier semestre de 1883, la situation générale des industries d’art était, à cette période, sauf quelques exceptions, considérée comme favorable. Les hôtels, ou même les simples habitations, qui datent de ces dernières années, présentent un plus grand luxe d’ornementation et de sculptures ; il en est de même pour les décorations intérieures ; les mobiliers sont beaucoup plus riches qu’autrefois ; le goût pour les objets d’art, ou pour ce qui en a l’apparence, s’est répandu dans toutes les classes. Combien de bourgeois prétendent aujourd’hui faire montre d’une collection, voire même d’un musée! Faut-il ajouter, selon le témoignage d’un fabricant d’éventails, que la coquetterie des femmes ne connaît point d’obstacles lorsqu’il s’agit de se procurer des objets recommandés par l’élégance et destinés à la parure? Tout cela explique l’accroissement de clientèle qui a fait la prospérité et qui soutient le travail des industries d’art. Aussi, le péril ne vient-il pas d’un ralentissement de la consommation ; il viendrait plutôt de la concurrence étrangère, et c’est à ce point de vue qu’il convient d’étudier les conditions économiques de la fabrication.

L’exposition universelle de Londres en 1851 paraît avoir été le point de départ de la concurrence. Pour la première fois se trouvaient réunis et rapprochés dans la même enceinte les produits du monde entier, La comparaison fut un triomphe pour la France, mais à la fois un enseignement pour les autres pays. La supériorité de la France pour les produits artistiques était si éclatante que les gouvernemens et les industriels étrangers s’en émurent. Pourquoi la France était-elle ainsi au premier rang, devançant de si loin l’Angleterre, l’Allemagne, l’Autriche, etc.? Par quel privilège, au moyen de quel secret avait-elle atteint et conservait-elle cette suprématie incontestée? Si profitables que puissent être les succès obtenus dans les travaux de la grande industrie, l’amour-propre national apprécie davantage l’honneur des succès obtenus dans les arts, comme dans les lettres et dans les sciences, et il supporte difficilement de n’en point avoir sa part. Aussi, dès la clôture de l’exposition de Londres, alors que la France remportait ses médailles et ses lauriers, les divers gouvernemens se mirent à l’œuvre pour relever le niveau des études artistiques appliquées à l’industrie; ils fondèrent des écoles et des musées, ils organisèrent des expositions locales, où l’imitation des produits français était appelée à tenir une grande place. L’Angleterre particulièrement fit des efforts considérables afin de nationaliser en quelque sorte les industries d’art, pour lesquelles ses envieux, tout en exaltant sa puissance mécanique, lui refusaient le don de l’invention et le goût; elle créa le musée de Kensington, où, prodigue de ses