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était habilement et sournoisement mise en suspicion, si bien que, dans le clergé, beaucoup se demandent encore si c’étaient là de vrais catholiques. Les contempteurs de la société moderne qui se plaisaient à confondre l’ordre spirituel et l’ordre temporel prêtaient à leurs adversaires la même confusion, s’imaginant ou feignant de croire que le libéralisme des catholiques libéraux débordait sur le domaine religieux. C’était là une erreur ou un artifice de polémique. Ce que ses adversaires s’obstinaient à dénommer le catholicisme libéral, comme si c’eût été un catholicisme de nouvelle sorte, est toujours, nous l’avons déjà remarqué, resté purement politique, étranger à la sphère religieuse ou théologique, à la discipline aussi bien qu’au dogme. Les plus hardis de ses adeptes ont pris eux-mêmes soin de le constater : s’ils invoquaient la liberté, ce n’était pas à la façon de Luther, contre le pouvoir spirituel et l’église ; c’était la liberté dans le sens moderne, vis-à-vis du pouvoir civil et de la force brutale. C’était, comme disait Lacordaire, « la liberté, qui n’est que le respect des convictions d’autrui, qui ne touche en rien au dogme, à la morale, au culte, à l’autorité du christianisme, qui lui retire seulement le secours du bras séculier, se confiant à la force intime et divine de la foi qui ne saurait faillir faute d’un glaive matériel levé contre l’erreur[1]. « Il est vrai que cela même en était trop pour les panégyristes convaincus des plus sombres pages de l’histoire du moyen âge. Il n’en reste pas moins certain que, dans cette école « catholique libérale, » il n’y eut jamais sous ce rapport, rien de comparable à ce qu’on a plus récemment appelé le protestantisme libéral. Pour trouver quelque chose d’analogue chez des catholiques, il faut descendre à l’obscure et impuissante école de Bordas-Demoulin et de Huet.

Une pareille équivoque servait trop bien les intérêts des ultras pour qu’ils y renonçassent. Faute de mieux, on affichait la crainte que les avances des libéraux ou des politiques à la société moderne s’étendissent à l’esprit moderne et à la science incrédule. On donnait à entendre qu’ils étaient prêts à transiger sur le dogme, « qu’ils conseillaient d’abroger quelques disciplines surannées, de rayer du symbole quelques articles insignifians[2]. » Un catholique se permettait-il de combattre la rouille de la superstition qui ternit si souvent la vertu des âmes simples, montrait-il de la défiance pour de prétendus miracles, pour de nouvelles apparitions de la Vierge ou pour les ineptes prophéties en circulation dans certain milieu, il était accusé de rationalisme et de naturalisme en même temps

  1. Lacordaire, Discours sur la loi de l’histoire, 1834.
  2. Voir M. de Falloux, le Parti catholique.