Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 66.djvu/821

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec une égale sollicitude sur les murs en ruines de la Rome papale, déjouant les surprises, repoussant les attaques sans se laisser endormir par les feintes ni lasser par les assauts de l’ennemi. Durant cette sorte de siège de plus de vingt ans, Montalembert, M. de Falloux et, en avant de tous, M. Dupanloup se distinguèrent par l’ardeur et la vigueur de leurs coups. Certes, si l’éloquence était un rempart pour les états, et si un trône pouvait être sauvé par la vaillance de la plume et de la parole, les murailles de la ville sainte n’eussent pas été violées et la croix de Savoie n’eût pas au Capitole remplacé l’écusson aux clés de Saint-Pierre.

La question romaine est de celles que nous avons trop souvent traitées ici et ailleurs pour y revenir longuement aujourd’hui[1]. A nos yeux, on le sait, la monarchie pontificale était vouée à une chute fatale ; la révolution italienne et l’unité de la péninsule n’en ont été que la cause seconde, non la cause première. Le respect et les regrets que les catholiques ne sauraient refuser à la royauté temporelle de leur chef, les argumens que la religion et la politique apportaient en faveur de son maintien ne pouvaient longtemps la faire survivre à la sécularisation, partout ailleurs accomplie, des états modernes. Deux choses presque également malaisées en eussent seules pu prolonger l’existence, la sécularisation spontanée de l’administration, et, en 1859 comme en 1848, une politique résolument nationale. Or, si un tel rôle n’était pas au-dessus du cœur de Pie IX, il était au-dessus de ses forces et peut-être des forces humaines. Quelques-uns parmi les catholiques, Lacordaire notamment, eussent voulu réveiller chez le pape-roi de 1860 le Pie IX d’avant 1848 ; mais ce dernier était mort de ses déceptions, et la monarchie pontificale était bien vieille pour se laisser transformer en quelques années. Ses plus illustres défenseurs en avaient le sentiment. Bien qu’ils ne fassent pas de ceux qui voyaient dans la petite monarchie théocratique une sorte de cité modèle et de type idéal de gouvernement, croyant cette monarchie nécessaire à l’indépendance de la papauté, ils ne pouvaient l’abandonner pour des défauts que leur piété leur rendait moins choquans, ni la sacrifier, parce qu’ainsi que le disait nettement Lacordaire, le gouvernement du saint-siège était un gouvernement d’ancien régime. Tous, du reste, avaient pour la chaire apostolique cet amour exalté qui est comme l’âme du catholicisme contemporain. Ceux qu’on prétendait flétrir du nom de libéraux, ceux qu’on traitait de catholiques selon Cavour étaient les premiers à adorer le « Christ de

  1. Voyez particulièrement : un Empereur, un Roi, un Pape ; Paris, 1878, et, dans la Revue du 1er janvier 1884 : le Vatican et le Quirinal depuis 1878.