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indigné. Cette réflexion, pour être plus discret que notre auteur, nous la laissons deviner. Bornons nous à dire que Crudeli voyait, comme Casanova, dans le cœur un viscère, une partie du corps nullement plus respectable que celles dont on parle le moins, et renvoyons le lecteur à l’exclamation bien connue de Rabelais, le jour où il vit son maître, l’ambassadeur de France à Rome, baiser la mule du pape.

Propos en l’air, assurément, et dont Bindo Simone Peruzzi, qui les entendait et en riait, dit sagement plus tard qu’on n’avait jamais su si Tommaso les tenait sérieusement ou par manière de plaisanterie ; mais pour qu’on les laissât emporter au vent, il aurait fallu, qu’en s’attaquant aux choses, notre homme eût ménagé les personnes, et l’on a déjà vu qu’il ne les ménageait point. Même l’habit ecclésiastique ne lui commandait pas le respect ou la réserve. Jamais de pitié pour les sots, pour les grotesques. Lui parlait-on d’un confesseur ridicule, vite il allait s’agenouiller devant lui, au tribunal de la pénitence, pour lui dire qu’il était un âne. Dans une maison où il fréquentait, il rencontrait souvent un certain abbé Grossi, précepteur peu digne de son emploi : il se plaisait à l’amener aux discussions théologiques pour l’appeler ensuite l’abbé Absurde. L’abbé Absurde le fuyait comme la peste, en attendant qu’il pût se venger par de lâches dénonciations.

Tant de gens ameutés contre lui crurent trouver dans la mort de Gian-Gaston (9 juillet 1737) l’occasion favorable. Tout changement de règne amenant un changement d’idées, ce que, dans le langage de la politique, on appelle une réaction, le clergé se flattait de voir recommencer l’heureux règne de Cosme III. Il surveillait les maçons, incarcérait quelques prêtres suspects, instruisait sans bruit contre quelques laïques, dont Crudeli, comptant bien arracher au nouveau prince l’autorisation de les poursuivra, comme celle d’expulser tes Anglais et le fameux Allemand. Espoir passablement chimérique, il faut bien le dire : François de Lorraine était affilié à la secte, ainsi qu’un de ses ministres, les autres restaient fidèles aux doctrines en honneur sons Gaston, et le grand-duc vivait hors de l’Italie. Sous l’inerte prince de Craon, chef du conseil de régence, les vrais chefs du gouvernement étaient le comte Emmanuel de Richecourt, président du conseil des finances et le Florentin Giulio Rucellai, secrétaire du droit royal, en d’autres termes, ministre des cultes, chargé, par conséquent, de veiller aux rapports de l’état avec l’église. Dès le premier mois du nouveau règne, ils accusaient leurs tendances par un édit (5 août 1737), qui imposait au clergé de contribuer à ce que notre auteur appelle discrètement « une collecte universelle pour payer les dettes de l’état, » et en refusant au saint-office l’autorisation d’armer ses familiers, puis celle d’incarcérer un meunier